Critique – La guerre des pauvres – Eric Vuillard – Actes Sud
Après nous avoir conté l’aventure rocambolesque de l’Anschluss dans « L’Ordre du jour » (Prix Goncourt mérité de l’année 2017), Eric Vuillard, toujours soucieux de sonder les permanences de l’Histoire, nous entraîne cette fois-ci au début du 16ème siècle dans le Saint-Empire germanique où naît Thomas Müntzer en 1489 ou 1490.
Alors qu’il n’a que onze ans, il est confronté à une première injustice : la pendaison de son père sur ordre du comte de Stollberg. Quatre ans plus tard, il fonde une ligue secrète en opposition à l’archevêque de Magdebourg et à l’Eglise de Rome puis il entreprend des études à Leipzig, devient « cureton », prédicateur à Zwickau où il fréquente ses alter ego que sont Storch, Stübner ou encore Drechsel.
Comment s’est forgée la conscience religieuse et politique de Thomas ? C’est certainement son accès à la Bible alors qu’il n’était qu’un enfant. L’invention de l’imprimerie quelques décennies plus tôt a en effet suscité une effervescence intellectuelle et un dialogue direct avec Dieu qui remet en cause l’existence même de l’Eglise corrompue et irrationnelle. Quel esprit subversif ce Thomas !
Il s’oppose par exemple au baptême, cette « Aufklärung des burettes ». Lui et ses amis « veulent se tenir nus dans la vérité », tout en citant les Evangiles : « Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses ».
Chassé de Zwickau, ce toqué d’une religion pure et authentique arrive en Bohême, région où naquit plus d’un siècle plus tôt un certain Jan Hus, farouche pourfendeur des indulgences qui finit sur le bûcher pour hérésie. Le territoire qui forme, avec entre autres la Moravie, l’actuelle République tchèque, a l’habitude des révoltes. C’est là que Müntzer va rédiger son « Manifeste de Prague » en allemand et non en latin. Dans ce texte traduit en tchèque, « il en appelle à l’opinion ». Puis, il quitte Prague et erre pendant plus d’un an avant de se poser en Thuringe en 1523 où il décide de fomenter une révolte contre les puissants affolant ses « confrères » dont Luther qu’il appelait « la chair qui mène molle vie à Wittenberg ». Mais c’est à Frankenhausen que la guerre des paysans est la plus active. On connaît la suite et le lourd bilan : environ 6 000 morts !
En donnant chair, via Thomas Müntzer considéré par Engels comme le précurseur du socialisme, à tous les soulèvements populaires (le récit remonte aux révoltes en Angleterre au 14ème siècle), l’auteur souligne la pérennité des causes de la contestation. A la question des inégalités s’ajoutent, en ce siècle où va naître la Réforme protestante, les questions de la religion, du rapport de l’homme avec Dieu et de l’inanité de l’Eglise.
Entre éructation drolatique, poésie, gouaille, trivialité, visuel quasi cinématographique…, « La guerre des pauvres » est un roman frénétique, emphatique, intelligent, énergique, parfois un peu agaçant par sa grandiloquence, dont la véhémence colle au caractère de son héros, un homme entier habité par ses croyances.
EXTRAITS
- « J’étais dans la joie, mais on ne s’unit à Dieu que par de terribles douleurs et le désespoir. »
- Et les livres s’étaient multipliés comme les vers dans le corps.
- On avait du mal à comprendre pourquoi Dieu, le dieu des mendiants, crucifié entre deux voleurs, avait besoin de tant d’éclat (…). Pourquoi le dieu des pauvres était-il si bizarrement du côté des riches, avec les riches, sans cesse ?
- Le glaive leur sera enlevé et sera donné au peuple en colère.
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