Critique – L’anomalie – Hervé Le Tellier – Gallimard
Difficile de chroniquer le Goncourt 2020 sans déflorer son intrigue. Commençons par présenter les principaux personnages qui sont au départ de parfaits étrangers les uns pour les autres et qui évoluent dans un futur proche, entre mars et juin 2021 : Blake, un tueur à gages ; Victor Miesel, traducteur et auteur d’un livre intitulé « L’anomalie » (le fameux roman dans le roman !) ; Lucie, monteuse de films empêtrée dans une histoire d’amour avec André, un architecte vieillissant ; David atteint d’un cancer incurable ; Sophia, une petite fille victime d’inceste ; Joanna, une brillante avocate afro-américaine prête à tout pour payer les frais médicaux de sa sœur malade ; Slimboy, un célèbre chanteur nigérian homosexuel… Tout ce petit monde va être arrêté par la police après avoir emprunté un vol pour New York pour une raison que je vais taire.
A partir d’une farce surréaliste que seuls les complotistes trouveraient crédible, Hervé Le Tellier propose, dans une construction habile, une réflexion quasi-philosophique sur le mode « je est un autre » et sur l’hypertechnologie qui menace l’essence de l’humanité même si celle-ci est plutôt lamentable, irresponsable et inconsciente notamment quand on constate combien elle ravage la terre qui l’héberge. On rit beaucoup à la lecture de « L’anomalie » qui se moque des hommes saisis de paranoïa parce qu’ils sont confrontés à l’invraisemblable. Je pense en particulier aux échanges absurdes entre « leaders spirituels de tous les cultes » qui sont un régal d’humour.
Bref, « L’anomalie » est un livre intelligent et drôle.
EXTRAITS
- « Mais l’amour, c’est de ne pas pouvoir empêcher le cœur de piétiner l’intelligence. »
- « A quoi sert de savoir ? Il faut toujours préférer l’obscurité à la science. L’ignorance est bonne camarade, et la vérité ne fabrique jamais du bonheur. »
- A propos du président des US qui ressemble étrangement à Trump : « Le mathématicien observe cet homme primaire, et il se conforte dans l’idée désespérante qu’en additionnant des obscurités individuelles on obtient rarement une lumière collective. »
- « Décidément, vieillir, ce n’est pas seulement avoir adoré les Stones et se mettre à leur préférer les Beatles. »
- « Il n’est pas donné à tout le monde d’assister de loin à sa propre ruine, d’avoir pitié de soi sans pour autant s’apitoyer sur soi-même. »
- « La religion est un poisson carnivore des abysses. Elle émet une infime lumière, et pour attirer sa proie, il lui faut beaucoup de nuit.
- « Quand sept milliards d’êtres humains découvrent qu’ils n’existent peut-être pas vraiment, la chose ne va pas de soi. »
- « L’homme est bien la création d’une intelligence supérieure. Mais qui est prêt à adorer le développeur d’un monumental jeu de rôle ? »
- « La liberté de pensée sur internet est d’autant plus totale qu’on s’est bien assuré que les gens ont cessé de penser. »
- « Il n’y aura pas de sauveur suprême. Il faut nous sauver nous-mêmes. »
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