Critique – Le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs – Mathias Enard – Actes Sud

Critique – Le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs – Mathias Enard – Actes Sud


Après m’avoir fait voyager au Maghreb et en Europe avec « Rue des voleurs » et au Moyen-Orient avec le magnifique « Boussole » (Prix Goncourt » 2015), Mathias Enard m’a entraînée au cœur de ce petit bout de France qu’est le Marais poitevin où il est né.

Pour découvrir cette contrée de l’Ouest, rien de tel qu’un thésard en archéologie/ethnologie qui marche dans les pas de ses illustres prédécesseurs que sont Claude Lévi-Strauss et Bronislaw Malinovski.

David, jeune étudiant débarqué de Paris, observe les autochtones comme il l’aurait fait d’une ethnie ignorée de l’Amazonie. De son QG installé chez des agriculteurs et dénommé bien évidemment « La pensée sauvage », il sillonne, au guidon d’une mobylette déglinguée, les environs de La Pierre-Saint-Christophe à la rencontre des objets de sa recherche, à savoir les habitants qu’il projette d’interviewer. Mais, pour s’intégrer à la vie locale, rien de tel que le café, heureux survivant du mouvement de désertification des campagnes !

Au fur et à mesure de ses enquêtes, il constate que « la campagne est aujourd’hui le lieu de la diversité, là où se côtoient réellement les modes de vie les plus différents » et découvre que les provinciaux ne sont pas aussi arriérés, loin de là, qu’il ne l’imaginait et qu’ils évoluent entre modernité, pas toujours heureuse avec ses zones commerciales hideuses, et tradition. Et c’est ce legs du passé, marqueurs des hommes, des paysages et des monuments, qui passionne Mathias Enard dont l’érudition virevoltante nous emmène dans des digressions foisonnantes, parfois drôles, souvent tragiques, mettant en scène, par la magie de la métempsychose, des personnages illustres (Agrippa d’Aubigné, Napoléon, Clovis…) et inconnus.

Le folklore, lui, est toujours bien vivant avec le banquet, façon « La grande bouffe » en moins délétère pour les convives, qui donne son titre au roman et dont le déroulement aurait plu à Rabelais.

Bref, avec ce roman extravagant, savant et sagace, Mathias Enard a composé une ode à sa région natale, formidable terrain de jeu qui a su se réinventer tout en restant fidèle à son histoire mouvementée et à ceux qui l’ont façonnée qu’ils soient anonymes ou célèbres.

EXTRAITS

  • Une âme succède à une âme dans un corps qui, à peine né, porte déjà les signes de la mort, le sang et la glaire.
  • Il y a un rapport entre l’égyptologie et l’agriculture : le montant des investissements nécessaires pour s’octroyer un salaire de misère au bout de cinq ans est pharaonique.

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