Critique – Le sermon sur le chute de Rome – Jérôme Ferrari

Critique – Le sermon sur le chute de Rome – Jérôme Ferrari


Après le magnifique « Où j’ai laissé mon âme », Jérôme Ferrari nous livre son dernier opus au titre un peu alambiqué. Dans « Le sermon sur la chute de Rome », il est fait référence au « discours » que prononça Saint-Augustin en 410 à la cathédrale d’Hippone dont il fut l’évêque. Il y est question de chute des mondes et de décadence des civilisations. Sans être omniprésentes, les idées-forces du religieux sont comme un fil rouge qui relierait deux époques : celle de la chute de Rome et celle contemporaine que nous propose l’auteur. Le roman se compose en effet de six parties introduites par une phrase extraite de la harangue. Et, en appendice, nous est livré l’intégralité du texte de Saint-Augustin.

Revenons à l’histoire qui met en scène différents personnages qui évoluent tout au long du Xxème siècle et du début du XXIème. On commence par Marcel, enfant corse de l’entre-deux-guerres, qui ressent un grand vide en regardant une photographie de 1918, alors qu’il n’est pas encore né, sur laquelle figure toute sa famille. Marcel a toujours été un enfant malade et ses maladies, il les aura toute sa vie. Rongé par un ulcère qui le dévore de l’intérieur (allusion à la mort des hommes, à la mort des mondes ?), il aurait dû passer de vie à trépas mais il surnage et enterre même son fils, Jacques, qui a épousé sa cousine, déclenchant l’hostilité familiale.

Aigri, égoïste, certain d’avoir raté sa vie, il tente une opération de rédemption en aidant financièrement son petit-fils Matthieu et son ami Libero à reprendre le bar de leur village natal. Tous deux étudiaient la philosophie à Paris et, en décidant de revenir en Corse, ils ont voulu non seulement renouer avec leurs racines dont ils s’étaient éloignés mais surtout changer de vie et créer, en bon lecteur de Leibniz, « le meilleur des mondes possibles ». Un choix qui ne sera pas forcément le bon… car il est bien difficile de vivre ses rêves. Vouloir sauver un lieu de l’isolement en lui redonnant vie ne se fait pas à coups d’alcool et de sexe.

Plus positif est le personnage d’Aurélie, la sœur de Matthieu, étudiante en archéologie. A contre-courant de son aîné, qui « demeurerait toujours la petite merde en laquelle il s’était métamorphosé en un temps record », elle trouvera ses racines et une forme de sérénité à Hippone (ville qui se trouve au Nord-Est de l’Algérie). Peut-être a-t-elle réussi sa vie ? Car, c’est un peu l’enjeu de ce livre d’aborder les questions suivantes : peut-on choisir sa vie, comment la rate-t-on et pourquoi ?

En deux-cents pages, Jérôme Ferrari nous livre un roman éblouissant d’intelligence. Si le propos est à portée philosophique (mais toutes les réflexions sur l’existence humaine ne le sont-elles pas ?), il n’est jamais ennuyeux ni didactique. Il alterne des phrases magnifiques, d’une puissance lyrique et des dialogues crus, à la limite de la vulgarité. Avec la même intention : souligner combien nous sommes mortels avec nos mesquineries, notre individualisme, notre indifférence. Les descendants de la photo, dont il est question au début du roman, ne forment pas vraiment une famille. Ils vivent à côté les uns des autres sans jamais se regarder.

Mais,  pourquoi l’auteur a-t-il eu recours à Saint-Augustin pour illustrer son discours ? Réflexe professionnel ? Jérôme Ferrari est en effet professeur de philosophie. La force du texte se suffisant à elle-même, ces emprunts n’étaient pas indispensables.

Cette remarque étant faite, « Le sermon sur la chute de Rome » est un vrai coup de cœur comme l’était avant lui « Où j’ai laissé mon âme ».

Un auteur, au style si personnel, à suivre absolument.

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