Critique – Le Syndrome de l’Orangerie – Grégoire Bouillier – Flammarion
Dès le prologue du « Syndrome de l’Orangerie », on retrouve le duo fantasque de détectives rencontré dans le magistral « Le Cœur ne cède pas ».
Bmore, double de l’auteur, et son acolyte Penny se demandent sur quelle affaire ils vont enquêter.
Après sa visite au musée de l’Orangerie où sont exposés « Les Nymphéas » de Monet, la décision du limier en chef est prise.
Saisi d’angoisse par la vision des grands panneaux que le peintre a offerts à la France après la guerre de 1914-1918, il est persuadé qu’un cadavre se cache dans le monumental chef-d’œuvre qui inspira les peintres de l’abstraction lyrique.
Il a enfin trouvé le sujet de sa prochaine investigation !
Découvrir pourquoi la mort hante la série picturale autour de la plante aquatique symbole de deuil et d’infertilité va l’occuper (et nous aussi) pendant plus de quatre cents pages (un nombre plutôt modeste pour un auteur qui nous a habitués à des pavés plus conséquents). Monet, pour sa part, la peignit pendant trente ans…
Cette obsession frise la folie et, à condition d’accepter de suivre l’auteur dans ses emportements, elle est une expérience de lecture vertigineuse et passionnante (si on excepte les parenthèses contenant des blagounettes à deux balles et des digressions intimes qui font penser à celles de Philippe Jaenada en moins drôles. Deux événements personnels et décisifs vont cependant se percuter à l’intrigue principale : une visite à la fois poignante et dérangeante du camp d’Auschwitz-Birkenau effectuée avant de se rendre à Giverny où se trouve la dernière demeure de Monet. Entre ces deux lieux que tout oppose, l’auteur va établir des analogies saisissantes ; une rencontre bouleversante qui rebat les cartes du syndrome de l’Orangerie).
En sondant la biographie de Claude Monet et les nombreux deuils auxquels il a été confronté, sa production, l’époque dans laquelle il vécut, en se plongeant dans ses lectures (il possédait une bibliothèque de sept cents livres) et en convoquant la psychanalyse comme discipline explicative mais aussi la botanique, la philosophie, la poésie, la littérature ou encore la mythologie, Grégoire Bouillier propose un angle captivant d’analyse de l’une des ultimes créations de l’artiste qu’André Masson qualifiait de « Sixtine de l’impressionnisme ».
Il offre un modus operandi stimulant nous permettant de regarder autrement une œuvre d’art, lui qui fut également peintre.
EXTRAITS
- Le bassin aux nymphéas est un immense champ d’honneur où, pour la France, tant d’hommes tombèrent. Il est un tragique cimetière de tombes fleuries. Un fantastique monument aux morts.
- La netteté est une notion bourgeoise.
- Confronté à ses propres ténèbres, Monet est allé chercher au plus loin la lumière.
- Parlant des Nymphéas que Monet a cultivés, Grégoire Bouillier écrit ; « il créa lui-même le sujet de sa peinture. »
- Chacun aimerait trouver son paradis sur Terre, sauf que Monet ne le trouva pas : il l’inventa de bout en bout.
- Les Nymphéas de Monet sont des visions […]. Ce pourquoi, même quasi aveugle, Monet pouvait continuer de peindre.
Vous devez être connecté(e) pour rédiger un commentaire.
+ There are no comments
Add yours