Critique – Mon vrai nom est Elisabeth – Adèle Yon – Éditions du sous-sol

Critique – Mon vrai nom est Elisabeth – Adèle Yon – Éditions du sous-sol


C’est parce qu’elle craint de devenir folle, comme le fut son arrière-grand-mère considérée comme schizophrène, qu’Adèle Yon s’est lancée dans l’écriture de cet objet littéraire non identifié qui tient de l’enquête, du récit familial et de l’essai.

Aidée (ou pas) par sa nombreuse famille, plongée dans les archives des établissements qui ont « accueilli » son aïeule, elle a mené ses investigations avec une minutie et une patience exceptionnelles que sa passion pour la cuisine ont peut-être exacerbées.

Au fur et à mesure de l’avancée de ses recherches, elle s’aperçoit que la plupart des femmes du clan ont ressenti la possibilité de sombrer dans la démence et, surtout, que son ancêtre n’était nullement atteinte d’une quelconque maladie mentale et que c’est son mari, un homme rigide et confit dans la religion, qui a tout fait pour qu’elle soit internée, lobotomisée et transformée en légume parce que son épouse, rebelle, fantasque, avide de liberté et peu encline à devenir une petite femme d’intérieur, refusait de se conformer à l’image de l’épouse parfaite et de se faire engrosser tous les ans (ils eurent six enfants en sept ans !).

Cet épisode douloureux souligne le rapport de domination des hommes sur le corps et l’esprit des femmes.

Avec ce texte étonnant et formidable, Adèle Yon, qui en fit le sujet de sa thèse, souligne l’immense gâchis que fut la vie de celle qu’on surnommait Betsy, victime de l’oubli dans le grand récit familial, et les dommages collatéraux que son assignation à la folie eut sur les générations suivantes, en particulier les femmes, persuadées que la psychose s’inoculait par les gênes.

En sondant le passé familial, elle offre une lecture universelle du statut de la femme au mitan du 20e siècle, du fonctionnement de la psychiatrie à la même époque qui autorise à interner une femme sans même l’avoir vue, et ce, sur les simples déclarations de son mari, du processus dont la transmission s’effectue avec ses non-dits et de la manipulation d’une soi-disant hérédité.

C’est remarquable d’intelligence car, au lieu de partir d’un postulat, l’autrice a remonté le temps et les événements pour en arriver à une conclusion qui fait froid dans le dos.

Avec son travail littéraire, elle fait revivre Betsy qui avait été effacée, tout en étant présente dans l’inconscient de la tribu.

EXTRAITS

  • Il vaut mieux laisser le passé où il est quand on a réussi à vivre avec.
  • Betzy est une victime du silence.

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