Critique – Mourir au monde – Claire Conruyt – Plon

Critique – Mourir au monde – Claire Conruyt – Plon


« Mourir au monde » – quel joli titre emprunté à la théologie ! – , c’est en quelque sorte renoncer à la vie matérielle pour se donner à Dieu.

Sœur Anne, les « yeux bleus et tristes », traverse une crise profonde l’amenant à remettre en cause les engagements pris, vingt ans plus tôt à son entrée au couvent, et à sombrer dans la dépression.

Pour l’arracher à sa prostration, la Mère supérieure lui confie la formation des nouvelles arrivées. Lorsque Jeanne, à peine sortie de l’adolescence, serre la main d’Anne, c’est la révélation… Jeanne est le miroir dans lequel Anne retrouve celle qu’elle a été. Par la grâce de la jeune postulante, Sœur Anne se souvient du « frisson de la foi » qui l’a abandonné, de sa famille qu’elle a quittée pour fuir un mal-être que l’amour de Dieu n’a pu guérir. Comme si la religion n’était qu’un leurre, comme si nous, pauvres humains, n’étions que des solitudes confrontées à notre petitesse et à notre peur du monde.

Comment deux femmes dont le rapport à la croyance – l’une doute, souffre et vit dans l’idée qu’elle se sacrifie, l’autre vit son engagement dans la joie et la paix intérieure – est aussi différent peuvent-elles se trouver avec autant d’évidence ?

C’est le propos de ce magnifique premier roman tout en nuances, empreint de poésie et de spiritualité qui, au-delà de la description minutieuse des rites régissant l’existence monacale, à la fois attirante pour la quiétude qu’elle exige et répulsive parce qu’elle nie toute intimité, et du dévouement énigmatique des sœurs à Dieu, fait le récit d’un coup de foudre entre deux femmes, réunies dans leur ferveur pour la musique, seule entorse à la monotonie des jours consacrés à la méditation.

Claire Conruyt nous rappelle que seul compte l’amour qu’il soit de Dieu ou d’un être humain.

« Mourir au monde » fait partie de la sélection du Prix premières paroles 2022.

EXTRAITS

  • La vie religieuse sonne une fin. C’est mourir au monde. Il y a ensuite une renaissance. Vous vivrez, mue par un amour rédempteur. Vous accepterez d’être détruite en vue d’être créée à nouveau.
  • Pour Jeanne, la vie est une série de moments dont l’intensité ne varie guère. La religieuse, elle, vit dans l’attente d’une épreuve.
  • Mais elle n’avait jamais connu le bonheur en Dieu dont toutes parlent avec hébétude ou orgueil.
  • La vie religieuse est une tempête. […] La paix vient avec le temps mais ne s’acquiert jamais vraiment tout à fait.
  • Il faut apprendre à vivre pour quelqu’un d’autre que pour vous mêmes. C’est dans ce silence, dans cette solitude, que le Christ vous rejoint.
  • Ça fait longtemps que je ne t’attends plus, Axelle. Ma grande sœur est morte au moment où elle s’est crue sainte. Ce n’est pas parce que tu sacrifies tout que tu l’es, sainte. Tu confonds souffrance et résilience. […] Par orgueil, tu as décidé de vivre dans la douleur.
  • Tu t’es tellement détruite que tu adores te faire mal parce que c’est ce qui te prouve que tu vis encore.
  • L’orgueil de toujours croire qu’on a quelque chose de plus beau à dire que le soleil qui se couche.
  • Il y a votre cœur, et il y a Dieu.
  • Qui aurait pu croire que derrière ce beau visage se cachait une peur du monde ?
  • En obéissant, vous existez.
  • Votre élan peut se dissoudre dans le sable de l’habitude (lettre de Soeur Anne à Soeur Jeanne).
  • Je l’aime d’un amour qui ne se nomme pas.
  • Vous avez répondu à un appel et, aujourd’hui, vous ne l’entendez plus.
  • La miséricorde des hommes n’est pas celle de Dieu. Les religieuses n’oublieraient pas.
  • Le Christ n’aime rien tant que les âmes échouées qui le cherchent. C’est leur foi, leur toute petite foi cabossée, qu’Il affectionne.

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