Critique – Notre vagabonde liberté – Gaspard Koenig – L’Observatoire

Critique – Notre vagabonde liberté – Gaspard Koenig – L’Observatoire


« Quatre cent quarante ans jour pour jour » après Montaigne, Gaspard Koenig a enfourché son destrier pour un périple sur les traces de l’auteur des « Essais », ce « long monologue intérieur ». Pour s’échapper, la « science de fuir » étant, pour le Bordelais, « commune à tous les cavaliers », pour goûter la liberté en pleine crise sanitaire ?

La réponse se trouve dans les quelque cinq cent soixante pages composant ce récit de voyage qui emmène l’essayiste de la tour de Montaigne à Rome.

Considérant, comme son illustre prédécesseur, que « rien de noble ne se fait sans hasard », Gaspard Koenig part sur le dos de Destinada, jument espagnole de six ans, pour quitter « une société trop normée » qui enchaîne les hommes.

Seul le voyage à cheval lui semble capable de briser « cette mécanique de contrôle bien huilée ». Et il ne sera pas déçu ! Entre les soucis de santé de Desti, les problèmes de matériel, l’affrontement avec une bureaucrate trop zélée et agressive qui donne lieu à une description tragi-comique de ce que la bêtise humaine peut produire ; les obstacles, au sens littéral, qu’il rencontrera sur sa route, l’aventure sera bien agitée.

Sur son parcours, il fera aussi des rencontres qu’il n’aurait pu espérer faire à Paris : quatre jeunes venus de la ville pour ouvrir « La Lanterne », une lueur de convivialité au cœur de la Creuse ; des responsables religieux à Mulhouse qui l’amènent à s’interroger sur le sens de la laïcité…

Il découvrira aussi des territoires, plus ou moins désertiques, marqués par de fortes identités liées à leur histoire, à leurs paysages et aux hommes qui les peuplent où le voyageur n’est pas toujours le bienvenu.

Comme la Sologne, championne des interdictions destinées à préserver la tranquillité de richissimes chefs d’entreprise venus, quelques jours par an, tirer sur des faisans tout juste lâchés. Un peu plus au nord, la Beauce dévoile ses tristes étendues céréalières et ses locaux peu aimables. « Ici, on ne répond pas à mes saluts ; au mieux un grognement » expérimente l’auteur.

Si les contrastes demeurent, la centralisation chère à notre pays s’impose pourtant avec son lot de règles absconses et parfois contradictoires, obligeant parfois le bon citoyen à désobéir ou à baisser les bras. À l’instar d’Aurélien, agriculteur du Limousin, sur le point d’abandonner le bio. « Il y a toujours un bobo pour nous expliquer la vie et un bureaucrate pour nous imposer une nouvelle norme » assène-t-il.

Qu’a retenu l’auteur de son expédition ? Il a appris et surtout désappris en se débarrassant de ses habitudes, en délaissant toute idée d’objectif pour mieux profiter du moment présent ou encore en revendiquant la frugalité pour s’accomplir « dans le manque »

Il apprendra aussi le cheval, non seulement le monter en oubliant les techniques dispensées dans les centres équestres, mais aussi comprendre et apprivoiser, à la manière du Petit Prince, celui qui deviendra un compagnon de route parfois facétieux et fugueur

Autres vertus de son errance : découvrir des réalités qu’il ignorait, changer son regard sur le monde ou, a contrario, être conforté dans ses croyances. Ainsi en est-il du mantra sur les territoires soi-disant oubliés.

En lieu et place de cette France des périphéries et d’une ruralité délaissée, se dévoile, sous les yeux du philosophe, un pays travailleur, inventif et fier qui ne demande qu’une chose : qu’on lui fiche la paix avec les règles et les normes. De quoi apporter de l’eau au moulin de celui qui rêvait de se présenter à la dernière élection présidentielle avec un programme limpide : faire du citoyen un être autonome et responsable.

Entre lyrisme devant les beautés de la nature et trivialité du quotidien (où manger, où dormir, où trouver un maréchal-ferrant, un vétérinaire ?), Gaspard Koenig offre au lecteur un captivant récit de voyage fait de digressions philosophiques, sociologiques, politiques et économiques comme des échos aux réflexions de Montaigne, dont l’idéal de vie répond au sien.

Éloge de la liberté individuelle contre l’homogénéisation collective ; plaidoyer pour la nature dans une relation de partage avec l’homme contre une écologie punitive et exclusive ; tolérance vis-à-vis des pratiques religieuses contre une laïcité de combat ; inclination pour l’esthétique contre la laideur des zones commerciales qui entourent les villes et « des immeubles de Le Corbusier » qui a oublié le principal : les hommes qui vivraient dans ses barres disgracieuses. Sans oublier les lotissements qui poussent comme des champignons alors que trois millions de logements vacants pourraient être réhabilités.

« Notre vagabonde liberté » est un témoignage précieux, même s’il est partiel, et parfois partial, sur notre pays et ses voisins qu’il s’agisse de l’Allemagne si hospitalière avec une Bavière dont le modèle économique l’enchante ou encore de l’Italie, contre-modèle du précédent.

EXTRAITS

  • Il n’existe pas de transition d’une région à l’autre : on bascule brutalement.
  • En construisant à grande échelle du laid, de l’invivable, notre modernité a inventé la nostalgie de l’ancien.
  • Dans les campagnes, on accepte que la vie soit dure, […], mais pas qu’elle soit absurde.
  • Ne possédant rien de trop, rien ne me manque.

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