Critique – Frapper l’épopée – Alice Zeniter – Flammarion

Critique – Frapper l’épopée – Alice Zeniter – Flammarion


À la suite d’une rupture amoureuse, Tass est de retour en Nouvelle-Calédonie. Jusqu’alors écartelée entre la métropole et le Caillou, elle a décidé « de rentrer enfin pour de bon » sur l’île où elle est née et d’y exercer son métier de professeur de français. Parmi ses élèves, Célestin et Pénélope, des jumeaux étranges qui disparaissent mystérieusement.

Alors qu’elle part à leur recherche, elle mène une quête parallèle pour retrouver ses origines dont elle ne sait rien. Son père est mort prématurément et sa mère, toujours sur le territoire, continue à vivre « à la française ».

Et quand elle parle de la Nouvelle-Calédonie aux métropolitains, ces derniers la confondent avec Tahiti ou encore La Réunion et, à part Louise Michel qui y a été bannie durant sept ans, aucun personnage célèbre n’émerge du Caillou.

Sur le chemin de ses investigations, elle croise un étonnant groupe de militants qui pratiquent l’empathie violente qui consiste à faire comprendre aux oppresseurs ce qu’ils ont fait endurer à ceux qu’ils ont tyrannisé. Cette prise de conscience passe par des actions pour le moins déconcertantes.

Très concernée par le fait colonial sur lequel elle s’était déjà penchée dans « L’Art de perdre » pour l’Algérie, Alice Zeniter revient sur l’histoire néo-calédonienne dans un flashback quasi cinématographique par sa puissance visuelle teintée de réalisme magique et s’imagine une possible filiation avec l’arrière-arrière grand-père de Tass qui lui a transmis son patronyme : Areski. Il est né à Tablat en Algérie en 1847. Après avoir volé un patron français, il est condamné à des travaux forcés et envoyé en Nouvelle-Calédonie.

L’analepse fait le récit de la Nouvelle-Calédonie, construite comme un mille-feuille : à la population autochtone, les Kanak, s’ajoutent des bagnards dans la seconde moitié du 19e siècle qui sont des « droits communs », des « politiques » après la répression de la Commune, puis des Kabyles.

L’administration française calque sur l’île océanienne une organisation en tribus qui lui est étrangère et éloigne les indigènes vers les terres les moins fertiles. Ne prenant pas la peine de comprendre les traditions locales, les colons acculturent à tour de bras avec une violence inouïe.

Entre récit à portée universelle sur le colonialisme et odyssée intime, « Frapper l’épopée » marque par sa puissance et son intelligence des enjeux contemporains qui puisent dans le passé.

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