Critique – On n’est plus des gens normaux – Justin Morin – La Manufacture de livres
L’air est doux en cette soirée du 14 août 2017. La terrasse devant la pizzeria de la ZAC du Hainaut de Sept-Sorts en Seine-et-Marne est remplie.
Une BMW grise fonce dans sa direction. À la table 7 sont réunis Betty, Sacha et leurs trois enfants : Nikola, 17 ans, Angela, 13 ans, et Dimitri, 4 ans.
« Betty sent un coup dans son dos. Sacha est projeté plusieurs mètres en arrière. […] Les enfants disparaissent ».
Les secours arrivent.
Il y plusieurs dizaines de blessés, dont certains très gravement atteints.
Le cadet, multi-traumatisé, est transporté en hélicoptère à Necker.
Sa mère, hantée par la culpabilité parce que c’est elle qui a voulu aller au restaurant et parce qu’elle n’a été que légèrement blessée, l’accompagne.
Sacha a la jambe désarticulée. Il restera boiteux.
Angela est morte. Sur le coup.
Dans la voiture allemande, P. arbore un sourire. Ceux qui ont croisé son regard s’en souviennent.
Le 27 août, quelques jours après l’enterrement d’Angela, le maire de La Ferté-sous-Jouarre où résident les Jakov a organisé un hommage à l’enfant.
« Une foule immense » se presse sur le parvis de l’hôtel de ville pour soutenir la famille. Et aussi pour crier sa colère contre l’assassin.
Cette présence est à la fois réconfortante et oppressante. Pourtant, les mots saluant son courage déconcertent Betty. C’est un devoir de continuer, pense-t-elle. Pour ceux qui restent…
Mais Betty, qui donne le change devant ses fils, craque. Elle a besoin d’aide. Ce n’est pas auprès d’une psychologue hospitalière, qui lui pose une question absurde – « à combien estimez-vous votre perte ? – qu’elle la trouvera. Elle rencontre une autre femme, experte psychologue. Le courant passe. Elle lui confie ses angoisses : de nouveau la culpabilité mais aussi la foi qui la quitte. L’écoute qu’elle lui prodiguera l’empêchera de sombrer dans la folie.
Puis vient le temps du procès près de quatre ans après les faits.
Justin Morin, alors journaliste, a été dépêché au tribunal de Melun pour couvrir les audiences. Le présumé coupable est « un homme chauve, bouffi ». Les yeux dans le vague, sans aucune trace d’émotion, il demande pardon. Reconnu psychotique, il tente de minimiser son acte en affirmant qu’il « traversait un épisode délirant ».
La sœur de l’accusé est présente. Même s’ils n’ont plus de lien, elle répond oui à la question : « ce drame était-il un accident ? ».
« On n’abandonne pas un frère, fût-il un monstre » écrit l’auteur.
P. est condamné à la perpétuité avec une peine de sûreté de 22 ans.
Pourquoi une telle rencontre a-t-elle donnée lieu à un livre et non à un simple compte rendu factuel ? L’auteur l’explique très bien en évoquant l’empathie, l’identification et, peut-être aussi, une forme d’admiration pour cette famille qui se (re)construit alors qu’elle a perdu l’un des siens.
Et puis, il est libre après avoir quitté la radio (Europe 1) pour laquelle il travaillait. Il s’attache alors à la figure de la sœur pour perce sa loyauté. Malgré son insistance, elle refuse de se raconter.
Justin Morin décide alors de « contourner le réel » pour raconter « une histoire parallèle ». C’est la partie la moins intéressante de ce docu-roman, par ailleurs plutôt réussi.
Ce livre fait partie de la sélection 2025 du Prix Premières Paroles.
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