Critique – La Vie ossécaille – Léna Vathy – Notabilia

Critique – La Vie ossécaille – Léna Vathy – Notabilia


Sélectionné pour concourir au Prix Premières Paroles 2026, le roman de Léna Vathy interpelle par son titre.

Ossécaille est-il un néologisme ? Eh bien non ! Il définit une écriture dont les caractères sont gravés sur des os d’animaux et des écailles de tortues. En Chine, on les jetait dans les braises entre le XVe et le Xe siècle av. J.-C. pour lire l’avenir dans leurs craquelures.

En ouvrant chaque partie du récit avec des idéogrammes, délicatement calligraphiés, qui leur donnent un titre – l’été ; la maison ; la langue ; le feu ; la femme ; l’eau ; moi, soi, je ; le destin -, la primo-romancière, qui cumule un poste de haute fonctionnaire et des activités littéraires comme traductrice et autrice, a offert non seulement un joli écrin à son ouvrage, mais aussi une illustration du propos de celui-ci.

« La Vie ossécaille » est en effet une variation sur la langue, celle qui nous façonne et construit notre vision du monde, celle qui nous lie ou nous sépare.

Rattachée au ministère des Affaires étrangères français, la trentenaire se voit proposer un poste d’experte détachée au Bureau français (qui la détachera de nouveau au Ministère de la Recherche et des Universités) de Taipei, la capitale de Taïwan, un « non-pays », un petit bout de terre sous la menace de son immense voisin communiste.

Lassée par un quotidien devenu monotone, désillusionnée par des relations amoureuses répétitives et sans issue, mue par une envie de se trouver, elle accepte de s’expatrier, excitée à l’idée de « rencontrer l’Autre », à découvrir « le meilleur des deux mondes : le dépaysement sans risque, l’exotisme avec tout le confort moderne, la Chine sans la République populaire », de toucher du doigt, comme une expérience, « ce qui se passe, quand on parcourt la distance entre chez soi et le reste du monde ».

Si elle est « fluently » dans la langue de Shakespeare et celle de Cervantes, elle ne pipe pas un mot de mandarin. Et en s’aventurant en Asie, elle glisse « dans un monde sans mots ». Elle aura beau prendre des cours, rien ne rentrera ou presque dans sa tête pourtant bien faite. Elle restera « sourde à ce pays. »

Elle va en effet être saisie par une forme d’incompréhension face à « un monde sans mots » impénétrable qui rend chaque moment du quotidien un obstacle impossible à franchir.

Dès son arrivée en République de Chine, la célibataire se voit gratifier d’un nom chinois : Xià qui signifie été.

Mais l’attribution d’une identité qui fleure bon le thé aux perles ne vaut pas intégration. Loin de là !

Malgré son enthousiasme, notre exilée va rapidement tomber de Charybde en Scylla. Par certains aspects, « La Vie ossécaille » fait penser à « Stupeur et tremblements » d’Amélie Nothomb.

Alternant la voix d’un narrateur extérieur évoquant l’héroïne et celle, en italique, de l’expatriée qui mène une introspection sur son expérience d’une année en insistant sur l’impression de ne plus savoir qui elle est, « La Vie ossécaille » dépeint avec intelligence, sensibilité et humour parfois désabusé, lié au contraste des us et coutumes entre l’Occident et l’Orient, ce qu’est le déracinement, la découverte d’une culture à mille lieux de la vôtre et le pouvoir des mots, ceux qui nous sont étrangers, dont l’ignorance permet peut-être de porter sur le monde un regard distancié, dépourvu de préjugés, plus authentique et sensoriel.

« Ça repose, d’avoir arrêté la course du langage » confie la narratrice.

Sauf que notre langue est ce qui nous identifie, ce qui nous permet de nommer le monde et qu’il est compliqué de s’en défaire. Malgré toute la bonne volonté dont on peut faire preuve…

EXTRAITS

  • Est-ce que la pensée commence avec les mots ?
  • Ce qu’on éprouve vraiment, on n’a pas besoin de le prouver. Pas plus à soi qu’aux autres.

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