13 mars 2019. Débat organisé par l’hebdomadaire Marianne : Les journalistes sont-ils coupables de la crise de la démocratie ?

13 mars 2019. Débat organisé par l’hebdomadaire Marianne : Les journalistes sont-ils coupables de la crise de la démocratie ?


C’est dans le cadre somptueux de la Chapelle Corneille à Rouen que s’est tenu le 13 mars dernier le débat, ô combien essentiel, sur la question de la culpabilité des journalistes dans la crise de la démocratie.

Animé par Franck Dedieu, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, hebdomadaire à l’initiative de cette soirée, l’échange réunissait Natacha Polony, directrice de la rédaction du news magazine fondé par Jean-François Kahn, Thierry Rabiller, directeur de la rédaction de Paris Normandie, Franz-Olivier Giesbert, journaliste et éditorialiste, ainsi que Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération.

Alors que le mouvement des gilets jaunes, largement couvert par les médias, a été le réceptacle d’un déferlement de haine (insultes et agressions physiques) à l’encontre de ceux qui sont censés nous informer en respectant une déontologie enseignée dans les écoles qui les ont formés, Natacha Polony s’interroge : « Comment avons-nous pu susciter une telle détestation ? ». L’animosité n’est pas nouvelle mais, à l’heure des réseaux sociaux où n’importe qui a la possibilité de raconter n’importe quoi, leur professionnalisme est remis en cause. Formatés, suivistes, issus de milieux favorisés, complices des politiques, sous la coupe des puissances financières… Le tableau est bien sombre et pas toujours juste. Nombreux sont les pigistes qui galèrent autant que certains gilets jaunes qui les vilipendent. Le hiatus entre les médias et ceux qui se revendiquent comme étant le peuple (en excluant les autres bien entendu dans une démarche qui relève du totalitarisme) s’expliquerait par une perception qui, comme le sont souvent les impressions, s’avère globalement fausse. Si Natacha Polony fait son mea culpa, Laurent Joffrin reste droit dans ses bottes affirmant que son quotidien a, en résumé, bien fait le job en couvrant le mouvement des gilets jaunes.

Quant à F.O.G, le « régional de l’étape », s’il plaide pour un « journalisme contradictoire », il confirme son optimisme pour l’avenir avant de quitter le plateau prétextant un train à prendre…

Cet échange, qui s’est poursuivi avec le public, m’a laissée dubitative comme si les intervenants étaient passés à côté du sujet.

  • première remarque : les journalistes de presse écrite se donnent beaucoup d’importance dans leur soi-disant rôle dans la crise de la démocratie alors que les tirages « papier » des titres qu’ils animent ne cessent de s’éroder depuis des années. Des quotidiens comme « Le Monde » ont certes réussi à transposer leurs contenus sur des supports numériques mais la rentabilité publicitaire n’est plus la même. Ce qui pose la question de la pertinence de ce nouveau modèle économique et l’arrivée en masse d’industriels et de financiers au capital des groupes de presse : Patrick Drahi pour Libé, Bernard Arnault pour Les Echos, le Tchèque Daniel Krétinsky pour Marianne… De là à penser que les journalistes sont muselés par les actionnaires il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. Faisons confiance aux professionnels tout en étant intraitable.
  • deuxième remarque : si je ne remets pas en cause l’honnêteté des journalistes, je déplore globalement leur manque de culture, notamment historique, leur incapacité à mettre en perspective les événements et à hiérarchiser l’information, leurs discours formatés et suivistes signes d’une paresse intellectuelle qui n’est pas leur exclusivité. Les Français, pas tous évidemment, eux-aussi sont un peu flemmards, passifs et prêts à croire n’importe quoi. Les fake news qui jouent sur les sentiments les plus primaires et sur les passions tristes au détriment de la rationalité et de la réflexion sont les grands gagnants dans nos régimes fragilisés. Une démocratie, ça se mérite ! Il y a en France d’excellents médias : France Inter, France Culture, Arte, Le Monde, Courrier International pour n’en citer que quelques-uns. Il faut juste faire l’effort de s’y plonger pour séparer le bon grain de l’ivraie afin de devenir des citoyens avisés et responsables.
  • troisième remarque, dans la lignée de la première observation : même si le tableau mérite d’être nuancé, on constate que les seniors s’informent via les journaux télévisés, les plus jeunes puisant dans les réseaux sociaux. La percée des chaînes d’info en continu est remarquable. On s’étonne du reste qu’un représentant de ces médias n’ait pas été convié au débat alors que de nombreux journalistes de BFMTV ont été molestés, voire plus, par des gilets jaunes. Et pourtant ils ne font pas partie de l’élite dénoncée par ces derniers !
  • enfin, le ressentiment à l’égard des journalistes participe d’un mouvement plus global de défiance à l’égard de ceux qui appartiendraient prétendument à un establishment – politiques, grands patrons, hauts fonctionnaires… – qui ne comprendrait pas un peuple fantasmé.

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