Critique – A malin, malin et demi – Richard Russo – Quai Voltaire

Critique – A malin, malin et demi – Richard Russo – Quai Voltaire


Le début du roman de Richard Russo donne le ton des quelque 700 pages qui vont suivre. Nous sommes dans le cimetière de Hilldale à North Bath implanté à quelques mètres d’une zone polluée fréquemment arrosée par des pluies torrentielles. « Après une bonne tempête, rien ne vous certifiait que la tombe sur laquelle vous veniez vous recueillir renfermait le même cercueil que la semaine précédente » écrit l’auteur.

Douglas Raymer, le chef de la police, assiste à l’inhumation du juge. Il chute malencontreusement dans le fosse et perd une télécommande de garage qu’il a retrouvée à côté de sa femme décédée dans un stupide accident. « Cette femme s’est amusée à descendre l’escalier comme un Slinky » décrit un témoin. On imagine la scène ! Douglas, persuadé que le propriétaire de la télécommande n’est autre que l’amant de son épouse, passe une bonne partie de son temps à tester le petit objet sur toutes les maisons du voisinage afin de découvrir l’identité du traître.

Aux côtés de ce personnage pathétique et malchanceux qui va frôler la folie évolue une belle brochette de bras cassés, de bas du plafond, de Pieds-Nickelés mais aussi de vrais méchants.

Richard Russo prend un malin plaisir à accentuer leurs défauts même s’il éprouve une affection communicative pour eux. Sauf pour l’affreux Roy qui frappe les femmes plus vite que son ombre.

Parmi les protagonistes les plus « savoureux », il y a Sully, septuagénaire condamné par la médecine mais qui continue à picoler et à fumer. Jamais avare d’une bonne blague, il a donné à son chien le prénom de son meilleur ami, un gars bègue et plus que simplet. Une plaisanterie qui donne lieu à une succession de quiproquos réjouissants.

Gus Moynihan, le maire de North Bath flanqué d’une épouse complètement toquée, qui tente de donner à une ville à l’économie atone et à la population inculte un dynamisme qu’elle n’a jamais connu. Peine perdue : les malheurs vont s’abattre sur la bourgade. Les égouts fuient dégageant une odeur pestilentielle, la terre tremble, l’orage gronde, un cobra se balade en liberté… Alors que Shuyler, la localité voisine, respire la réussite et le raffinement.

Il y a aussi Carl Roebuck, un businessman raté et véreux, qui a « des problèmes de bite molle ».

Parmi les femmes, il y a Ruth, la patronne du café, ancienne maîtresse de Sully et dame qui ne s’en laisse pas conter. Et aussi Charine, l’adjointe de Douglas. Elle est noire et un brin parano, persuadée que son chef se moque d’elle à cause de sa couleur de peau. Son frère Jerome, maniaque jusqu’à l’obsession, vaut aussi le détour.

Avec leurs fêlures, leurs secrets, leurs inimitiés mais aussi leurs amitiés indicibles, leur solitude, leur besoin d’amour, ils sont à la fois drôles et touchants. Ils veulent partir mais, finalement, ils restent parce que c’est dans cette communauté qu’ils ont leurs racines, leurs habitudes. Et c’est le talent de Russo, formidable conteur à la langue fleurie et croqueur de personnages, de savoir nous faire rire du malheur des autres, surtout des hommes dominés par des femmes fortes et parfois hystériques ou tout simplement folles. Un portrait réjouissant et absurde de la comédie humaine !

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