Critique – Du côté sauvage – Tiffany McDaniel – Gallmeister
Après « Betty » et « L’Été où tout a fondu », Gallmeister vient d’éditer le nouvel opus d’une voix récente et singulière des lettres nord-américaines qui fait penser à l’immense Joyce Carol Oates.
Tiffany McDaniel s’est inspirée de faits réels pour composer son roman très sombre.
Entre mai 2014 et mai 2015, six femmes ont disparu dans la petite ville de Chillicothe (Ohio). Les cadavres de certaines d’entre elles ont été retrouvés dans une rivière.
En dédiant son roman de plus de sept cents pages aux victimes, l’autrice leur offre une visibilité et une humanité.
Daffy et Arc, la narratrice, sont jumelles. Elles vivent dans une petite maison en parpaings avec leur mère et leur tante. Leur père est mort d’une overdose alors qu’elles avaient six ans.
Les adultes se prostituent pour payer leurs doses d’héroïne. Le reste du temps, la mère le passe vautrée sur son lit alors que la tante est affalée devant la télévision.
Les fillettes grandissent sans règles, sans amour et sont les cibles des insultes des deux femmes incapables de les protéger d’un pédophile qu’elles surnommeront l’araignée, celle qui tisse sa toile pour enfermer et dévorer l’enfance innocente.
Elles trouvent refuge auprès de leur merveilleuse grand-mère, une conteuse hors pair adepte de rituels d’un autre temps qui embellit un quotidien bien sombre.
Le lien puissant qui les unit va les aider à grandir sans souffrir de la solitude et leur passion pour la terre qu’elle fouille et les histoires pour Arc et pour l’eau et la poésie pour Daffy va les maintenir dans une forme d’insouciance.
Des amitiés solides avec d’autres filles de leur âge seront une arme pour lutter contre les prédateurs sexuels et les bourreaux que sont tous les hommes selon elles.
Devenues adultes, l’éducation toxique qu’elles ont reçue va les rattraper. Comme leurs parents elles se drogueront. Comme leur mère elles se prostitueront « pour se payer encore de la came » . Elles sont assignées à résidence avec aucun espoir de fuite. Alors elles rêvent et s’imaginent un autre destin.
C’est en 1993, alors qu’elle a vingt ans, qu’Arc découvre, flottant dans la rivière, le corps atrocement mutilé de la première victime du serial killer. L’inquiétude s’empare du groupe d’amies, proies toute désignées parce que femmes, pauvres et inutiles.
Si « Du côté sauvage » est un livre d’une grande noirceur par son absence d’espoir, son onirisme, sa poésie, ses métaphores, son écriture brûlante lui confèrent une grâce que la fin surprenante et poignante rend encore plus prégnante.
Dommage qu’il soit parfois un peu répétitif.
EXTRAITS
- Nous étions les sœurs des roches et des vagues.
- On arpente des rues qui puent l’essence le matin et la pisse le soir.
- Difficile d’imaginer qu’il était né autrement que dur et laid.
- La plupart des filles, par ici, ont leurs propres araignées, leurs loups et leurs chiens enragés. Si seulement on pouvait recommencer. Repartir de zéro avec notre virginité, et décider de la façon dont elle serait dévorée.
- Rien ne va pousser ici […]. Rien, à part d’autres croix à porter.
- Ce qui toujours semble devoir durer, ce sont les malheurs du passé.
- On pue […]. C’est l’odeur de toutes les promesses qu’on a pas tenues.
Vous devez être connecté(e) pour rédiger un commentaire.
+ There are no comments
Add yours