Critique – Le Magicien – Colm Toibin – Grasset

Critique – Le Magicien – Colm Toibin – Grasset


C’est sur une grande figure intellectuelle de la première moitié du vingtième siècle que Colm Toibin s’est penché.

Ni biographie, encore moins hagiographie, « Le Magicien » serait plutôt un récit de l’intimité de l’auteur de « La Mort à Venise » dans lequel l’écrivain irlandais témoigne de son talent de romancier.

De la petite enfance de Thomas Mann, nous ne saurons rien, car le récit commence en 1891, seize ans après sa naissance et année de la mort du père.

C’est la mère qui ouvre la galerie de portraits. D’origine brésilienne, la fantasque Julia, « mélange d’exotisme, de charme et de fragilité » détonne à Lübeck, ville hanséatique imprégnée de rigueur protestante. Son mariage avec le géniteur de Thomas, sénateur austère et riche négociant, est une incongruité dans ce monde si policé et préfigure peut-être la singularité de sa descendance.

Cinq enfants naîtront de cette union improbable. Deux d’entre eux seront écrivains : le rêveur et rebelle Heinrich, l’aîné de la fratrie, et Thomas, dont le sérieux le destinait tout naturellement à succéder au patriarche.

Humiliée par le testament de son époux, Julia décida de quitter la triste Lübeck pour la riante Munich, laissant Thomas terminer sa dernière année de lycée.

Meurtri par le choix de sa mère, Thomas l’est encore plus par la volonté de son père de ne pas faire de lui l’héritier.

C’est en 1892 que la sensualité se révèle à l’adolescent, l’objet de sa sollicitude étant l’un de ses pairs. C’est ainsi qu’il découvre son homosexualité qu’il tentera de dompter en épousant la formidable Katia avec laquelle il conçut six enfants. Trois d’entre eux eurent une vie sexuelle ne répondant pas aux normes de l’époque !

Cette ambiguïté et cet art de la dissimulation, l’écrivain les pratiqueront tout au long de sa vie. On peut même se demander s’il n’exprimera pas son attirance pour les hommes à travers ses personnages de fiction. On peut penser au Gustav von Aschenbach de « La Mort à Venise » fasciné par la beauté juvénile de Tadzio.

Au plan politique, l’homme est insaisissable. Contrairement à son frère Heinrich et à ses deux turbulents aînés Erika et Klaus, il ne perçoit pas la menace que représentent les Nazis. Même dans son exil obligé, il se fait violence pour défendre un humanisme dont il est pourtant l’un des représentants les plus illustres, auréolé du Prix Nobel de littérature en 1929.

Le courage de l’un des plus grands écrivains de langue allemande, on le trouve dans ses écrits souvent pessimistes qui mettent en scène le déclin et la décadence.

À la lecture du « Magicien », on découvre un Thomas Mann qui refuse de confondre l’action et l’art, tout le contraire d’un écrivain engagé.

En s’attachant à cette figure de grand bourgeois souvent seul et incompris, Colm Toibin a composé la saga d’une famille singulière ainsi qu’une fresque poignante sur un monde en train de disparaître, anéanti par la barbarie.

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