Critique – Le Seigneur des porcheries – Tristan Egolf – Gallimard

Critique – Le Seigneur des porcheries – Tristan Egolf – Gallimard


Rares sont les romans qui vous éprouvent physiquement. « Le Seigneur des porcheries » est de ceux-là.

Racontée par un anonyme qui fut un compagnon de route du paria John Kaltenbrunner à la fin de sa courte existence, l’histoire prend pied au cœur du Midwest dans une exploitation minière dont le fonctionnement est perturbé par d’innombrables découvertes archéologiques, dont un squelette de mammouth !

Ford Kaltenbrunner, père de John et DRH de l’entreprise, est chargé d’inventorier le butin et de le déposer dans un endroit secret.

Alors qu’il prenait du galon tout en étant respecté de tous pour son honneur, il épousa, à la trentaine bien avancée, une couturière d’origine galloise. Le couple s’installa dans un ancien corps de ferme où le mari put entreposer ses trouvailles ainsi qu’une somme de documents relatant les origines de la population locale de Baker, Indiana.

John était à l’état d’embryon lorsque son père décéda dans « l’explosion d’une poche de méthane », un accident que la communauté jugea suspect.

Trois mois plus tard, il vit le jour. « Enfant souffreteux […], frêle et bizarrement bâti », il fit très tôt preuve d’une grande curiosité et d’une inconscience du danger.

La veuve l’éleva dans le culte de son géniteur, un culte qui reposait sur une appréciation erronée du bonhomme qui n’était qu’un alcoolique coureur de jupons, un type vénal détesté de tous.

La déception est immense pour le gamin qui voulait être à la hauteur de la légende paternelle.

Peu sociable et peu aimé par sa mère, John est regardé comme un être spécial, plus proche du « cloporte » que d’un enfant normal.

Pourtant, il a une vocation qui tourne à l’obsession : transformer le domaine en voie de décrépitude en une exploitation agricole fertile.

Pendant ses années de jeunesse, il se consacra entièrement à cette tâche, délaissant toute autre activité, a fortiori la fréquentation de l’école où il est harcelé et violenté, développant dans son cerveau une colère sourde qui ne demande qu’à exploser car, chez lui, la vengeance est un plat qui se mange froid.

Jusqu’au jour où des « camarades » de classe mettent à sac la propriété, qu’une tornade ravage les cultures et décime les animaux et, qu’enfin, des « harpies méthodistes […], sociopathes à cabas […], nécrophiles pathologiques », sentant la fin de la mère approcher, manœuvrent pour être couchées sur le testament…

Last but not least, après avoir tiré sur un policier d’État, John fut condamné à une peine de travail d’intérêt général et embarqué comme « matelot au service de la navigation fluviale. »

Trois ans plus tard, de retour à Baker, il est embauché par un abattoir aux méthodes de travail ignobles aussi bien pour les volailles que pour les employés. John la scoumoune est victime d’un grave accident du travail et il perd son job. À la sortie de l’hôpital, il se lie avec un certain Wilbur, son premier ami, qui le recommande auprès d’une entreprise de nettoyage.

Il devient alors un « torche-colline », un éboueur, la lie de l’humanité pour les bien-pensants qui ne se gênent pas pour faire savoir ce qu’ils pensent de ces sous-hommes qui ramassent leurs ordures.

John, rempli de haine et de colère, va alors mener son ultime combat en mobilisant ses camarades pour se venger de la communauté qui l’a rejeté.

Il devient alors un héros christique, un cavalier de l’Apocalypse saisi d’une folie destructrice, purificatrice et rédemptrice, dont le sacrifice marquera à jamais ses compagnons miséreux et méprisés qui deviendront ses apôtres en entretenant la mémoire de celui qui fut souvent si seul.

Sans crier au chef-d’œuvre (je ne sais pas vraiment ce que ce vocable signifie), j’ai été saisie par la puissance et la flamboyance de l’écriture qui parvient à transcender le prosaïsme par une inventivité métaphorique, qui emprunte souvent à la faune, et langagière.

En conférant à un combat qui peut sembler dérisoire une dimension épique, Tristan Egolf a pris le parti de la démesure en opposant les descendants des pionniers confits dans le puritanisme, un ramassis de créationnistes incultes et consanguins qui croyaient « dur comme fer que les dinosaures avaient disparu parce que Noé n’avait pas assez de place pour eux sur l’arche », et tous les autres, offrant ainsi un regard radical et féroce sur le Midwest, figure de la violence systémique des États-Unis.

Pour en connaître davantage sur l’auteur suicidé à trente-trois ans, je conseille l’intéressant récit d’Adrien Bosc : « L’Invention de Tristan ».

EXTRAITS

  • C’était des géants au visage laineux, avec des boucles de ceinturon en forme de hure de verrat et une haleine chargée de relents de tabac et de sardines.
  • Derrière la façade d’harmonie chrétienne gisait une réserve inextinguible de fureur et de mépris de son prochain.

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