Critique – Les Éclats – Bret Easton Ellis – Robert Laffont

Critique – Les Éclats – Bret Easton Ellis – Robert Laffont


À plusieurs reprises, Bret Easton Ellis a essayé d’écrire sur ce qu’il s’est passé l’année de ses 17 ans alors qu’il vivait à Los Angeles.

Ce n’est qu’à la cinquantaine qu’il s’est senti capable de se pencher sur cette année 1981 qui l’a marquée à jamais.

Bret fait partie de la jeunesse dorée des quartiers chics de la mégapole californienne. Quand il ne se rend pas en cours au volant de voitures de luxe habillé de vêtements de marque, tout ce petit monde musarde au bord de la piscine à la manière d’une peinture de David Hockney, le nez dans la coke, un verre de margarita à la main, une boombox diffusant les tubes pop du moment. Il sort parfois de sa léthargie pour aller au cinéma ou s’adonner à un sport.

Bret, Thom, Susan et Debbie forment un quatuor inséparable. Ils sont beaux. Thom et Susan sont en couple depuis deux ans. Debbie est la petite amie de Bret et un alibi pour dissimuler l’homosexualité de celui-ci.

Le tableau idyllique va voler en éclats avec l’arrivée en terminale de Robert Mallory, un garçon beau comme un ange.

D’emblée, Bret qui s’apprête à devenir écrivain et travaille sur ce qui deviendra « Moins que Zéro », son premier roman, se méfie de lui, une suspicion nourrie par son imagination et la présence dans la région d’un serial killer qui s’attaque à des adolescentes en les mettant en scène dans des postures obscènes.

Bret est-il doué d’un don de prescience ou est-il paranoïaque ? Telle est l’une des questions que pose « Les Éclats », un roman qui emprunte les codes du thriller pour tenir le lecteur en haleine.

Mais ce récit de plus de 600 pages parfois redondant pour mieux insister sur les obsessions du narrateur n’a pas été écrit uniquement pour nous faire frémir.

Dans une plume hallucinatoire et obsédante, il est le fruit d’un travail de reconstitution du passé par la mémoire d’un auteur façonnant le portrait d’un adolescent qui, à la manière de Proust, se voit devenir écrivain parce qu’il perçoit des choses invisibles aux yeux des autres.

C’est aussi le portrait d’une époque où la liberté était immense. C’était avant l’apparition du sida qui toucha dans un premier temps les homosexuels dans l’indifférence générale. Car si les années 1980 offrent un visage de permissivité, l’inversion, comme l’appelait Marcel, était condamnée, obligeant le narrateur à donner le change et à afficher l’apparence du parfait mâle blanc.

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