Critique – L’oiseau du bon Dieu – James McBride

Critique – L’oiseau du bon Dieu – James McBride


 

1856. Kansas. La guerre de Sécession sera déclarée cinq ans plus tard. En attendant, l’abolitionniste blanc John Brown est considéré par les esclavagistes comme un « voleur de nègres ».

Après avoir occis son père, il embarque dans son combat le jeune Henry qui, sur un malentendu, est pris pour une fille. C’est lui/elle qui raconte l’épopée rocambolesque de ce personnage haut en couleur qui a réellement existé.

Accompagné de ses fils, d’une bande de « pieds nickelés » qui tient lieu d’armée et de Dieu qui ne quitte jamais ses pensées à tel point qu’il invoque longuement la Bible dans des monologues interminables qui sont de véritables sermons, le vieil homme s’entête à libérer les Noirs. Parfois malgré eux. Et oui, la liberté fait souvent peur !

Avec un sens de l’humour jubilatoire et des dialogues enlevés, Henry/Henrietta fait le récit du périple épique qui emmena les « libérateurs » du Kansas vers l’est du pays pour récolter des fonds destinés à financer la lutte armée jusqu’en Virginie où s’acheva l’aventure. Et il ne ménage pas son mentor qu’il représente en vieux fou habité par la religion. Même si « L’Échalote » (c’est son surnom) éprouve de la tendresse pour cette « tête ridée comme un raisin sec ».

Mêlant description des combats et narration plus intimiste des états d’âme des protagonistes, en particulier du conteur, « L’oiseau du bon Dieu » est la chronique d’un épisode majeur de l’histoire des États-Unis qui fut l’un des éléments déclencheurs de la « Civil War », une réflexion sur l’esclavagisme et sur ce qu’est être Noir ainsi qu’un formidable roman d’apprentissage qui met en scène un enfant/adolescent doté d’un solide bon sens qui, tout en portant un regard aiguisé sur le monde qui l’entoure, s’éveille à la sensualité.

L’écriture est tellement visuelle et le sujet si américain qu’il devrait séduire quelques réalisateurs en panne de scénario.

EXTRAITS

A dire vrai, mentir était une chose qui venait naturellement à tous les Noirs au temps de l’esclavage, car aucun homme ni aucune femme dans la servitude a jamais prospéré en étalant ses véritables pensées devant son patron.

– Comment une moitié de négresse peut posséder un nègre complet ?

– Tout le monde parvenait à faire un discours sur les Noirs, sauf les Noirs

– Un Yankee, y a rien qui l’exaspère plus qu’une personne de couleur intelligente

– Un fédéral, il a une odeur d’ours, car il utilise de la graisse d’ours pour ses cheveux, et il vit à l’intérieur

– (…) si vous pensez que les Blancs et les Noirs sont différents, vous avez plus beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre la vérité quand vous reniflez leur production naturelle, là, vous comprenez vite qu’y en a pas un qu’est supérieur aux autres

 

 

Dans la vie, vous pouvez toujours jouer un rôle, mais vous pouvez pas être cette personne-là. Vous la jouez seulement. Vous n’êtes pas réel. J’étais un Noir avant tout, et les Noirs jouent aussi un rôle à eux: dissimulation. Sourire. Faire semblant d’être esclave, c’est bien, jusqu’au moment où ils se retrouvent libres, et puis après? Libres de quoi faire? D’être comme l’homme blanc? Est-ce qu’il est si bien que ça?

 

C’est une chose de dire que vous êtes abolitionniste, mais chevaucher pendant des semaines dans les plaines en plein hiver, sans provisions de nourriture, pour mettre à l’épreuve les principes d’un homme, c’est comme vouloir attraper des mouches avec du vinaigre. A la fin de l’hiver, quelques-uns des hommes du Vieux étaient devenus partisans de l’esclavage.

 

Il était comme tout ceux qui partent en guerre.Il croyait que Dieu était de son côté.Dans une guerre, tout le monde a Dieu de son côté.Le problème c’est que Dieu, Lui, il dit jamais à personne pour qui Il est.

 

(…) être Noir, c’est un mensonge, de toute façon. Personne ne vous voit tel que vous êtes vraiment. Personne sait qui vous êtes à l’intérieur. Vous êtes jugé sur ce que vous êtes à l’extérieur, quelle que soit votre couleur. Mulâtre, brun, noir, peu importe.

 

La terrifiante armée du Vieux John Brown dont j’avais tant entendu parler était rien qu’une bande dépenaillée composée de quinze individus les plus décharnés, les plus minables et les plus tristes que vous ayez jamais vus.

 

J’avais beau avoir été kidnappé, une faim terrible me tenaillait, et je dois dire que mes premières heures de liberté sous John Brown ont été semblables à mes dernières de liberté sous lui : j’étais affamé comme je l’avais jamais été en tant qu’esclave.

 

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