Critique – West – Carys Davies – Seuil
Comme tout homme, Bellman a un rêve. Après avoir lu dans la gazette locale d’un coin perdu de Pennsylvanie, où il vit dans sa ferme, que des os gigantesques avaient été retrouvés dans le Kentucky, il décide de partir sur la trace des animaux qu’il espère retrouver vivants.
« Tu vas partir combien de temps, alors » l’interroge Bess, sa fille de dix ans orpheline de mère. « Au moins un an. Deux peut-être » lui répond-il en lui promettant de lui écrire de nombreuses lettres, trente au total, pour l’informer de l’avancée de sa quête. Il confie la gamine à sa sœur Julie, une bigote aigrie qui le considère comme un vieux fou irresponsable. « Il aurait mieux fait de consacrer son temps à quelque chose de plus sensé, comme aller à l’église ou se trouver une nouvelle épouse. » pense-t-elle.
Pour l’aider dans ses investigations, il s’adjoint l’aide d’un « jeune Shawnee disgracieux et malingre » dénommé « Vieille Femme de Loin »… Tous deux affronteront les éléments : la neige, le froid… L’apprenti explorateur se prend à regretter ce périple. « Il aurait dû rester chez lui avec le petit et le familier » croit-il, culpabilisant d’avoir abandonné son unique enfant.
Pendant ce temps, celle-ci entretient l’exploitation et attend désespérément les nouvelles, qui n’arrivent pas, du « grand homme blanc aux cheveux rouges » qu’elle admire tant parce qu’il ne ressemble pas au « commun des mortels », ceux qui sont restés et qui sont des prédateurs pour la fraîche jeune fille dont le corps s’épanouit alors que le « géniteur », figure protectrice par excellence, est trop éloigné pour la protéger.
Roman qu’on pourrait rapprocher du genre « nature writing », « West » est un joli livre sur la liberté, le sens de la vie, la réalisation de soi… A la manière d’un conte, le récit de Carys Davies évoque un magnifique amour entre une fille, formidable et courageuse Bess, et un père. L’enfant puise sa force dans l’espoir du retour de Bellman, trompant l’attente en inventant des rituels (« Demain, si elle réussissait à rejoindre la maison depuis la pompe sans renverser une seule goutte d’eau par-dessus le rebord du seau, cela signifierait que son père était en bonne santé. ») qui seraient autant d’heureux présages.
C’est juste, sensible et émouvant.
EXTRAITS
- L’homme prophétisait qu’un temps viendrait où les siens se rendraient compte qu’on avait retiré la terre tout entière de sous la plante de leurs pieds, qu’ils se réveilleraient un matin aux aurores pour découvrir que toutes les forêts (…) avaient filé entre leurs doigts comme une corde d’eau, qu’il ne leur resterait de ces accords passés que des bijoux sans valeur (…) ils comprendraient un jour que tout cela, ils l’avaient abandonné pour du vent. On les repousserait jusqu’à l’endroit où se couche le soleil et, au bout du compte, ils s’éteindraient à tout jamais.
- Bellman aimait cette histoire, (…) cette idée que, quelle que soit la vision qu’on avait du monde connu, il existait toujours des choses en dehors de celui-ci dont on n’avait jamais rêvé.
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