Critique – Cher connard – Virginie Despentes – Grasset

Critique – Cher connard – Virginie Despentes – Grasset


Avec « Cher connard », Virginie Despentes renoue avec la tradition du roman épistolaire. Une différence avec ce genre narratif, qui connut son âge d’or au XVIIIe siècle, est que l’action se déroule de nos jours, à l’heure des réseaux sociaux et de leurs immenses possibilités de nuisances.

Tout commence par un message d’Oscar Jayack sur Instagram. Dans ce post, l’écrivain évoque Rebecca Latté, une actrice proche de la cinquantaine, qu’il compare à un crapaud et dont il stigmatise le nouveau statut d’égérie pour les jeunes féministes.

L’auteur, sorte de héros houellebecquien en panne d’inspiration, a en effet des raisons d’être en colère. Il vient de se faire « metooïser » par Zoé Katana, son ex-assistante dans l’édition, qu’il aurait sexuellement harcelée et dont il aurait ruiné la vie. Celle-ci tient un blog pour sortir du silence et clamer au monde qu’elle est une victime.

La réponse au message ne se fait pas attendre et le ton est assassin. « Cher connard » lui répond une Rebecca vindicative et consciente que, dans le milieu du cinéma, elle est proche de la date de péremption.

De violents, les échanges vont peu à peu s’apaiser. Il est vrai que ces deux-là ont beaucoup en commun. Ils sont des transfuges de classe venus des mêmes quartiers populaires de Nancy, ville natale de Virginie Despentes. Et ils ont les mêmes addictions à l’alcool et à la drogue. Mais c’est la prise de conscience par Oscar de ce qu’il a fait à Zoé qui va faire évoluer ses relations avec Rebecca vers une amitié improbable.

Dans un style cash, souvent cru, l’autrice de « Vernon Subutex » fait de nouveau mouche. Avec son regard acéré, elle décortique avec justesse et une bonne dose d’exagération, que seul l’humour autorise, les enjeux de société qui lui tiennent à cœur : l’homosexualité féminine, le féminisme « à l’ancienne » versus le « néo-féminisme », la défonce qui nous donne l’impression d’être géniaux alors qu’elle nous détruit par le lien de dépendance qu’elle induit, l’industrialisation de la culture…

La rudesse de ses propos n’empêche pas l’empathie pour ses personnages, en particulier et paradoxalement pour Oscar, dont le mal-être remonte à l’enfant solitaire qu’il fut, ignoré de ses parents et méprisé par ses camarades d’école.

Malgré la fureur des débuts du roman, Virginie Despentes cherche à adoucir les relations entre les hommes et les femmes qui, au-delà de leurs identités respectives et de l’évidence d’un fonctionnement encore largement patriarcal de notre société, peuvent s’entendre.

Car l’homme, blanc en particulier, n’est pas qu’un affreux prédateur né pour exploiter le sexe dit faible. Il peut être capable de résilience et de demander pardon.

EXTRAITS

  • L’héroïne par rapport au crack, c’était comme la littérature par rapport à Twitter.
  • Internet, avant tout, c’est de la bile.
  • Sans l’envie du pauvre, le bonheur du riche n’est pas incomplet.
  • C’est ça la honte, c’est répondre aimablement à quelqu’un qui mérite une claque dans sa gueule.
  • Même les moches ne veulent pas être grosses.
  • Je pense à Zoé. […] Nous sommes deux punching-balls, offerts à des publics différents.

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