Critique – Cœur – Thibault de Montaigu – Albin Michel

Critique – Cœur – Thibault de Montaigu – Albin Michel


Depuis qu’il vit dans un studio de vingt mètres carrés d’une résidence pour seniors, aveugle, le cœur fragile, ruiné, l’octogénaire Emmanuel Tesson de Montaigu a bien perdu de sa superbe.

Pourtant, on décèle encore dans ses yeux bleus, flamboyants par intermittence, ce qui fut son passé de séducteur, de jouisseur désinvolte, de beau parleur pour lequel la fidélité était un vœu pieux.

Son aîné Thibault, l’auteur de ce récit, voit justement son regard s’allumer lorsque le patriarche lui demande d’écrire un livre sur son grand-père Louis mort en 1914 lors d’une charge de cavalerie, héroïque, inconsciente voire suicidaire c’est selon, destinée à venir en aide à des camarades piégés par l’ennemi.

Peu emballé par le projet, Thibault se laisse néanmoins convaincre par son père, comme s’il voulait donner à cet homme au crépuscule de sa vie un cadeau d’adieu.

Au fur et à mesure de son enquête dans les tréfonds du passé, il s’aperçoit que c’est à lui qu’il offre ce présent, à l’homme qui s’estime peu parce qu’il serait l’exact opposé de celui qu’il admire le plus : un garçon pas très beau doté d’un nez bifide et de « lèvres énormes », peureux et timide, surnommé « Timoche » dans son enfance.

En plongeant dans le passé, il vit une forme de rédemption, d’épiphanie, mais aussi de soulagement.

« Cœur » qui donne son titre au roman en référence à l’organe du père qui faiblit, mais aussi au sentiment, est un cri d’amour à Emmanuel et un geste de pardon à celui qui l’a souvent déçu en l’abandonnant pour une femme alors qu’il n’était qu’un gamin, par sa désinvolture, son égoïsme (même s’il ne le dit jamais), ses soucis d’argent qui ne le font pas hésiter à « taper » ses propres enfants.

En appliquant à l’histoire de la branche paternelle des concepts empruntés à la psychogénéalogie, il fait le constat d’une transmission des ascendants aux descendants au sein d’une même lignée : la tradition militaire pour matérialiser un besoin d’héroïsme, des études néanmoins décevantes, une aptitude naturelle pour l’équitation, une fascination pour l’argent, pour ce qu’il peut offrir, qui se transforme en ruine, la fuite, la solitude et la puissance des femmes.

À cette mythologie familiale, l’auteur semble avoir échappé.

D’une jolie plume sensible et intelligente « Cœur » fait la peinture d’une aristocratie désargentée qui a su redorer son blason en se mésalliant avec une bourgeoisie bien dotée.

Mais c’est surtout le lien entre un père mourant et son fils qui fait l’attrait de ce récit poignant, le fils s’interrogeant sur ce qu’il va lui-même passer, comme un flambeau, à son propre fils.

EXTRAITS

  • Ainsi le voulait la dure loi des pères. Ils finissent toujours par se sauver…
  • Il aimait la littérature car elle était une vie au centuple, dont la variété des possibles le fascinait.

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