Critique – Femme à la mobylette – Jean-Luc Seigle – Flammarion

Critique – Femme à la mobylette – Jean-Luc Seigle – Flammarion


Avant de se plonger dans « Femme à la mobylette », un titre qui évoque une peinture surréaliste, peut-être faudrait-il lire le court texte « A la recherche du sixième continent, de Lamartine Ellis Island » qui se trouve à la fin du livre.

Sorte de plaidoyer pour les pauvres, il rappelle que Lamartine fut l’un des précurseurs de la « littérature du peuple ». Avec « Geneviève ou l’histoire d’une servante » publié en 1851, dont l’héroïne se prénomme Reine comme le personnage principal de Jean-Luc Seigle, le créateur du « Lac » préfigure la grande tradition du roman naturaliste d’un Hugo ou d’un Zola. Profitant d’un voyage à New York (lui qui s’interrogeait avec Novalis : « Nous rêvons de voyager à travers l’univers, mais l’univers n’est-il pas en nous ? »), l’auteur de « En vieillissant les hommes pleurent » rend hommage aux immigrés qui furent « accueillis » à Ellis Island et qui firent de « The Big Apple » ce qu’elle est est aujourd’hui.

La force de ce manifeste politique née d’une expérience personnelle vécue par l’écrivain, on la ressent, cette fois-ci sous une forme fictionnelle, dans « Femme à la mobylette ».

« Tout finit dans l’absence et le silence absolu du monde ». Cette phrase magnifique, Reine se la répète comme un mantra. Au tout début du récit, Reine se demande si elle n’a pas tué ses enfants qu’elle appelle avec tendresse « la bête à trois têtes ». Son mari l’a quittée pour une autre et fait tout pour récupérer leur progéniture.

Au chômage depuis trois ans, Reine se laisse aller jusqu’à ce qu’elle découvre dans son jardin une mobylette, sésame pour décrocher un job de thanatopractrice, un emploi rêvé pour celle qui aime tant parler aux morts et en particulier à sa grand-mère Edmonde, une fervente communiste qui l’a élevée à la mort de sa mère d’une overdose. Un bonheur (pour une fois) n’arrivant jamais seul, elle découvre l’amour dans les bras d’un beau routier néerlandais. D’un quotidien sordide, cette femme fragile psychologiquement et immature glisse vers la béatitude et trouve la force de se battre.

Même si l’histoire est improbable, la magie des mots fulgurants du texte de Jean-Luc Seigle, sa force romanesque, ses côtés presque mystiques et symboliques sont ensorcelants comme un conte.

EXTRAITS

  • Elle sait que si elle ne quitte pas cette fenêtre, elle ne saura jamais si elle a mis fin à la vie de ses enfants, ou pas.
  • Son corps ne sait plus que s’engourdir dans le malheur.

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