Critique – Jeunesse – Pierre Nora – Gallimard

Critique – Jeunesse – Pierre Nora – Gallimard


Historien, éditeur, académicien, enseignant, Pierre Nora est un intellectuel à l’ancienne.

Dans « Jeunesse », titre qui est presque une imposture car le livre retrace toute la vie de l’auteur, il fait œuvre de mémorialiste de lui-même comme il le fit de la France dans son travail de chercheur. Je pense en particulier aux « Lieux de mémoire ».

C’est au moment de la débâcle de 1940 que commence le récit de celui qui est né neuf ans plus tôt. « Des routes de l’exode, je n’ai de souvenirs que reconstruits par les images » confie Pierre Nora.

Son père Gaston, brillant chirurgien à l’hôpital Rotschild, est conscient du danger nazi qui menace les Juifs. Il avait lu « Mein Kampf » et avait compris la détermination de Hitler. Contrairement à une bonne partie de la « bourgeoisie française qui se croyait à l’abri de toute persécution ». Il avait même « omis » de déclarer les siens comme juifs à l’administration.

Cette clairvoyance lui a permis de sauver sa famille en lui trouvant des abris. Tout d’abord du côté de Rambouillet puis dans les Pyrénées, à Montpellier, à Grenoble chez les Jeanneney. C’est dans cette ville que le Maréchal Pétain, alors en déplacement, tapota la joue du petit Pierre. Un comble !

Les rumeurs de rafles enflant, les Nora quittent la capitale de l’Isère pour le Vercors, haut lieu de la Résistance à laquelle les frères aînés de Pierre participent. Malgré son jeune âge, le garçon «prend « conscience de la tragédie qui se jouait ». C’est à quelques encablures de Villard-de-Lans qu’il est scolarisé au Portique, « un repaire d’intellectuels engagés » où le marxisme est à l’honneur. C’est au cours de cette période qu’il se plongea dans la lecture de Montaigne, Gide ou encore Rilke et qu’il tint un journal.

Ayant échappé aux camps mais ayant néanmoins vécu une jeunesse chaotique et en danger, il est de retour à Paris où il refuse de faire sa Bar Mitzvah. Dès son plus jeune âge, il entretient avec la judéité un rapport ambigu et variable. De même, il souffre de son retour à une vie normale, bourgeoise et sage alors que des millions de Juifs ont péri.

Pour décrire ce qui l’a construit, Nora fait appel à son biographe François Dosse qui souligne, dans son parcours professionnel, la présence d’une double identité : juive dans sa « préoccupation pour la mémoire » et française « dans la dimension historique ». Il concède alors : « ce n’est peut-être pas un hasard si j’ai été historien de la mémoire ». Il ajoute : « que « Les lieux de mémoire » portent alors la marque d’un historien qui fait partie du peuple de la mémoire et se met à jour avec la France ».

Avec « Jeunesse », Pierre Nora se fait le témoin d’une époque vécue par un intellectuel plutôt discret. La plus grande partie de son autobiographie est consacrée à sa famille dont le membre le plus iluustre est le frère Simon Nora, « modèle du grand serviteur de l’Etat », avec lequel il entretint des relations de plus en plus tourmentées. Se succèdent aussi les amis et les amours…

Dans les dernières pages, Pierre Nora promet, dans un prochain livre, de délaisser l’intime pour s’atteler à ses « souvenirs d’éditeur et d’historien ».

EXTRAITS

  • Les Juifs avaient pris conscience de leur histoire quand ils avaient cessé d’être une mémoire ; et (…) les Français étaient « tombés » en mémoire en cessant d’être une histoire.
  • J’avais développé l’idée que les grands moments de la définition identitaire de la France – (…) – avaient été en même temps les dates-clés du destin juif dans le monde moderne.

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