Critique – La petite barbare – Astrid Manfredi

Critique – La petite barbare – Astrid Manfredi


Rares sont les romans sur la banlieue réussis. Ils sonnent souvent faux.

Le coup de poing qu’est « La petite barbare » dément ce constat. Celle dont on ne connaît ni le prénom, ni le patronyme se confie sur son parcours qui l’a conduite en prison. Elle est belle et l’attrait qu’elle exerce sur les hommes lui permet de satisfaire son goût pour les vêtements. Pourtant, elle n’est pas qu’une « fashion victim ». Elle est intelligente, elle aime lire, avec une prédilection pour « L’Amant » de Duras, et porte sur le monde dans lequel elle vit un regard qui, s’il fait froid dans le dos, est proche de la réalité.

Sans nier sa part de responsabilité dans le crime odieux du « gang des barbares », dont elle fut l’appât, elle décrit, sans juger de manière manichéenne, sans accabler ni sa famille, ni la société, le processus qui l’a conduite à commettre l’irréparable.

Un grand livre écrit dans un style percutant. Et c’est un premier roman !

EXTRAITS

Comment ça peut exister ce genre d’amour ? Le genre d’amour qui autorise l’abandon de soi ?
Il y aurait donc des hommes quelque part dans ce monde qui ne se contenteraient pas de « Suce ma bite » ? Des hommes qui plongeraient leur regard dans l’obscurité du monde sans vulgarité ni haine ?
(…) j’ai bu du Malibu-orange avec Esba et j’ai gerbé sur le paillasson. Ma mère a ri et m’a dit qu’elle avait fait pareil à mon âge. Tu parles d’une référence. Tout le monde copie sur tout le monde. Une vie de faussaire qui reproduit les déceptions à l’infini.
Dans l’impasse du futur, nous revêtons nos habits de beaux gosses pour démontrer que notre violence est plus belle que l’indifférence. Nous ne sommes pas des bêtes, ni même des monstres. Nous sommes le fruit des entrailles du déni
[Sa femme] est en photo sur son bureau. Quelle manie hideuse de téléfilm ! Exhiber sa vie privée en photo, se la taper sans pause du matin au soir. Le rappel à l’ordre du bonheur acquis, personne pour le contredire.
J’ai dix-neuf ans. […] Comme à l’accoutumée, nous sortons la nuit protégés par nos armures logotypées, toutes incisives dehors. Dans notre bolide allemand nous avançons dans le labyrinthe de la cité. Des sifflets fusent. Esba sort sa main par la fenêtre et brandit le majeur, incontestable. Les sifflets cessent et laissent place à une haie d’honneur mutique. […] Les maigres reproches de ma mère me parviennent en écho, de loin. Il n’y a plus rien à faire. Le poison de la vie facile s’est installé en moi. Je n’ai pas l’antidote.
[Mon père] braille qu’à l’ANPE, il n’y a que des fainéants, que la société est un tas de merde, que la politique c’est du spectacle. Que les paillettes ne se collent que sur les mains des riches. Il a la haine mais il reste cloué sur le canapé. […] Quand il sort le soir, il rentre et il nous fait son canto rebelle. Le petit doigt en l’air, il commémore son passé d’anarchiste et il dit que plus jamais il ne travaillera, que le système est une dictature. C’est lui le triste facho sans pognon.

 

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