Critique – L’Enragé – Sorj Chalandon – Grasset

Critique – L’Enragé – Sorj Chalandon – Grasset


Nous sommes au tout début des années 1930 sur la bien nommée Belle-Île-en-Mer. Mais de cette beauté les « résidents » de Haute-Boulogne ne profitent pas. Ils sont internés dans une Colonie pénitentiaire baptisée Maison d’éducation surveillée, un hybride entre maison de correction et bagne, où ils – enfants et adolescents – purgent des peines pour des délits souvent mineurs, parce qu’ils sont orphelins ou encore parce qu’ils ont fugué pour fuir une famille délétère.

Jules Bonneau, le héros du dernier roman de Sorj Chalandon, est né en Mayenne d’un père ivrogne saisonnier agricole et d’une mère qui est partie alors qu’il n’avait que 5 ans. Il atterrit alors chez ses grands-parents paternels. Il n’y trouvera aucune affection. Affamé, il vole trois œufs. Il n’a que 7 ans. Se trouvant au mauvais moment lors d’un règlement de comptes, il est envoyé à Belle-Île faute d’être accueilli par un membre de sa famille. Il a 13 ans.

C’est à 18 ans, après sept années d’enfermement, que celui qu’on surnomme La Teigne raconte son effroyable quotidien et celui de ses alter egos. Privations, humiliations, insultes, coups, cachot, abus sexuels, silence imposé, malnutrition, les surveillants, renommés moniteurs, s’en donnent à cœur joie pour réduire à néant toutes velléités de révolte.

Sans oublier le travail harassant auquel cette main-d’œuvre gratuite est soumise et la menace de rejoindre une prison plus dure à la moindre incartade.

Face à ce traitement inhumain, certains enfants deviennent des bêtes féroces.

Jules, lui aussi, est habité par la colère qu’il tente de tempérer, parfois en vain. « Je rêvais de tuer pour ne pas avoir à le faire » affirme-t-il dans un élan schizophrénique qui le fait sans cesse hésiter entre le bien et le mal. « Faire mal me faisait du bien » ajoute-t-il.

Une nouvelle humiliation est la goutte qui fait déborder le vase des frustrations. Les prisonniers se rebellent et s’évadent de leur geôle. Tous seront repris grâce à l’empressement de la population locale à se débarrasser de cette horde de sauvages. Sauf Jules. Commence alors pour lui une nouvelle vie de hauts et de bas sous la protection d’un pêcheur grâce auquel il trouve de la chaleur humaine et de la considération…

Dans ce récit éructant de fureur, l’auteur de « Mon traître » décrit avec une grande justesse le calvaire de gamins condamnés dès leur naissance à en baver et que Jacques Prévert a mis en lumière avec son poème « La chasse à l’enfant ».

Entre documentaire et fiction, dans une narration tendue et haletante, il nous fait vibrer avec Jules, ce garçon tellement attachant avec ses démons, ses blessures et ses rêves qu’on a envie qu’il s’en sorte.

EXTRAITS

  • Tuer pour de faux était ma respiration. Ma stratégie pour survivre.
  • Mon cœur entier tenait dans mes poings.
  • Je vivais du pire.
  • Ça n’existait pas, les gentils.

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