Critique – Les Enfants endormis – Anthony Passeron – Globe

Critique – Les Enfants endormis – Anthony Passeron – Globe


C’est quand son père lui parle du « gros con de Désiré » qu’Anthony Passeron est saisi par l’urgence d’écrire l’histoire de cet oncle disparu à l’âge de trente ans, quelques années après sa naissance.

L’auteur, qui signe son premier roman, « fruit du silence », va minutieusement fouiller le passé pour faire émerger la vérité sur ce fantôme.
De retour au village perché sur les hauteurs de Nice, il découvre un désert. Comme la plupart des autres commerces, la boucherie familiale est fermée
Pourtant, le magasin, était « l’or de la famille depuis trois générations », transformant le grand-père paternel de l’auteur en un notable respecté. Du côté de la grand-mère Louise, l’histoire est plus chaotique. Issue d’une lignée de paysans italiens misérables, elle suit son père fuyant le fascisme. Habituée, dans son enfance, au mépris et à l’humiliation, elle prendra sa revanche en devenant une femme forte et une « mère courage » dévouée à soutenir son fils dans sa lutte contre le sida, un combat perdu d’avance.
Parallèlement au récit intime, le roman, dont le titre fait référence aux garçons et aux filles retrouvés inertes dans la rue, une seringue plantée dans le bras, déroule la longue et formidable odyssée qui, de part et d’autre de l’Atlantique, permit d’identifier le virus, de sensibiliser les populations à risques et de découvrir, quasiment par tâtonnements, les premiers traitements capables de freiner l’hécatombe. Sous le regard atone des politiques, pour lesquels la réactivité devrait pourtant être un mantra.
Malheureusement, Désiré a contracté la maladie trop tôt pour espérer bénéficier des avancées de la recherche.
L’espoir, c’est ce qui motive l’admirable et battante Louise, à la fois optimiste et dans le déni de la gravité du mal dont souffre son enfant. Son total engagement à ses côtés, malgré la réprobation de la communauté villageoise et l’adieu à une existence bien réglée, la mènera à négliger les autres membres de la fratrie, dont le père du narrateur en colère contre son aîné.
D’autant plus que Désiré fut, dès le départ, l’enfant préféré, le charmeur auquel on passait tous les caprices, alors que le benjamin suivait bien sagement le chemin choisi pour lui par ses parents.
Avec « Les Enfants endormis », Anthony Passeron a réussi le pari, à partir de l’histoire des siens, d’atteindre l’universel, celui d’une pandémie qui a fait plus de 35 millions de morts depuis son apparition au début des années 1980, défunts souvent stigmatisés et abandonnés auxquels il offre un vibrant tombeau littéraire.
La douleur, l’attente, le doute, l’impression que tout s’effondre, tous ceux qui ont été concernés par ce virus, malades et proches, les ont ressentis dans leur chair et le primo-romancier a su nous les faire éprouver avec une grande justesse.

EXTRAIT
Seule cette maladie était arrivée à ce qu’une mère voie son fils tel qu’il était : un junkie pourrissant parmi les siens.

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