Critique – Les misérables – Victor Hugo – Pocket

Critique – Les misérables – Victor Hugo – Pocket


Un monument, un continent, un monde, un univers, un monstre… Que dire de plus à la lecture des quelque 1 500 pages qui composent « Les Misérables ».

Et pourquoi le lire ? Ne fallait-il pas se contenter des extraits découverts dans le « Lagarde et Michard » ? On dit souvent que l’été est propice à des lectures légères. A contrario, je pense qu’il est favorable à des découvertes plus exigeantes qui appartiennent au répertoire classique. En attendant la rentrée littéraire qui, je l’espère, nous fera découvrir quelques pépites comme celles de septembre 2017. Je pense à « L’Ordre du jour » d’Eric Vuillard, « Sciences de la vie » de Joy Sorman, « Nos richesses » de Kaouther Adimi, « Un certain M. Piekielny » de François-Henri Désérable, « Dans l’épaisseur de la chair » de Jean-Marie Blas de Roblès, « Ils vont tuer Robert Kennedy » de Marc Dugain, « Bakhita » de Véronique Olmi, « Les huit montagnes » de Paolo Cognetti, « Les fantômes du vieux pays » de Nathan Hill ou encore « Le jour d’avant » de Sorj Chalandon.

Cet aparté fait, qu’exprimer devant une telle somme où Totor se fait tour à tour sociologue, politique engagé, écologiste, pamphlétaire, théologien, poète, philosophe et, accessoirement romancier en oubliant parfois la légèreté ? Le style ample et lyrique est souvent emphatique. Hugo pratique la digression avec excès (cf . le début du roman, la bataille de Waterloo, les réflexions sur l’argot…). Paradoxalement, c’est aussi ce qui fait le charme de ce pavé. Cette manière de naviguer entre les genres et les points de vue fait des « Misérables » le formidable portrait militant d’une époque, celle qui va de 1815 à 1833, vue par un narrateur omniscient qui considère l’histoire comme un tout. Victor Hugo confie que son livre évoque « la marche du mal au bien, de l’injuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour… ».

Pourtant, ses contemporains n’ont pas été tendres avec l’auteur des « Contemplations ». Le talentueux Barbey d’Aurevilly, dont les positions politiques sont bien éloignées de celles d’Hugo, écrit : « M. Hugo, qui ne veut plus de l’art pour l’art, n’en a aucun dans sa manière de conter ». Pis, Flaubert, qui entretient une relation épistolaire avec le grand homme de lettres, note : « Je ne trouve dans ce livre ni vérité ni grandeur. Quant au style, il me semble intentionnellement incorrect et bas. C’est une façon de flatter le populaire ».

Rien ne sert de résumer l’intrigue. Ceux qui ne l’ont pas lu ont certainement vu l’une des adaptations du roman, soit celle de Robert Hossein, soit celle de Josée Dayan, même si elles n’embrassent pas la totalité de l’histoire. Il n’est pas anodin que l’oeuvre ait autant inspiré le cinéma tant son écriture est visuelle (batailles, insurrections, quartiers de Paris d’avant Haussmann avc sa misère criante…).

Tentons de résumer les principales thématiques qui animent « Les Misérables » et qui s’expriment par le biais d’événements puisés dans la réalité de l’époque ou au travers de personnages de fiction dont les plus remarquables sont bien évidemment Valjan et Javert. Valjan est l’archétype du résilient qui, aidé par le bon et désintéressé évêque Myriel, s’emploiera toute sa vie à devenir un homme vertueux. Javert, lui, est tiraillé entre son sens du devoir (capturer l’ancien forçat) et le doute sur la culpabilité de Valjan, reconnaissant que ce dernier a expié ses crimes. Ce dilemme le conduit au désespoir.

D’autres protagonistes méritent aussi qu’on s’y attarde : Enjolras, le révolutionnaire jusqu’au-boutiste prêt à tout donner pour que ses idéaux aboutissent ; M. Mabeuf, l’amoureux des livres et des plantes qui sombre dans la pauvreté et se sacrifie pour une cause qu’il estime juste ; Eponine, l’une des filles Thénardier qui, grâce à son amour pour Marius, rachète les souillures de ses parents ; M. Gillenormand qui, par amour pour son petit-fils, va jusqu’à renier les préjugés de son milieu et bien sûr Gavroche, le gamin des rues rebelle et insouciant dont la mort d’une balle traître, est l’un des moments les plus émouvants du récit.

En revanche, Cosette et Marius sont d’une insipidité rare. Chez Victor Hugo, grand écrivain romantique, l’amour est mièvre et contraste avec la violence de la société et les états d’âme du torturé Valjan. On se demande même parfois s’il ne prend pas un malin plaisir à se moquer des deux tourtereaux !

EXTRAIT

On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l’Antée dans ce pygmée ; pour le gamin, toucher le pavé, c’est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n’est tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage…

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