Critique – Milwaukee Blues – Louis-Philippe Dalembert – Sabine Wespieser

Critique – Milwaukee Blues – Louis-Philippe Dalembert – Sabine Wespieser


Emmett, un afro-américain d’une quarantaine d’années, est mort étouffé sous le genou d’un policier. Comme George Floyd. Comme une centaine de Noirs depuis le début de cette année 2020 alors que nous ne sommes qu’au mois de mai.

Son père a choisi son prénom en hommage à Emmett Till, un garçon noir de 14 ans assassiné par deux blancs en 1955 dans l’état du Mississipi (sur cet événement, lire la BD d’Arnaud Floc’h intitulée « Emmett Till. Derniers jours d’une courte vie »). Avant de quitter le domicile conjugal de Franklin Heights, un ghetto de Milwaukee. L’enfant est alors resté seul avec sa mère, une femme protectrice, très croyante et nourrissant des ambitions pour son fils unique.

Le dernier roman de Louis-Philippe, qui figura dans le dernier carré de la sélection du Goncourt 2021, est l’histoire simple d’un homme ordinaire à la fin extraordinaire, résultat d’un racisme systémique à l’origine même de la création des Etats-Unis.

C’est par les voix de celles et ceux qui l’ont connu que se reconstitue la trop courte vie de cet homme taiseux. De l’institutrice dévouée à la mère d’une de ses filles en passant par la meilleure amie, le pote dealer, le coach et la fiancée abandonnée mais toujours amoureuse.

A partir de ces témoignages parfois cliniques se dessine le portrait d’un enfant à la fois solitaire et fier mais peu doué pour les études qui trouvera dans le football américain le moyen de sortir de sa condition. Pourtant, un accident l’empêchera de devenir un sportif professionnel et l’obligera à revenir à la case départ. Ses espoirs détruits, Emmett ne sera plus jamais le même. Traînant la honte de son échec, il semble traverser la vie comme une ombre.

Plus de la moitié du roman est consacrée à cette compilation un peu plate de tranches de vie.

Le souffle s’empare enfin du récit lorsque Louis-Philippe Dalembert décrit la marche organisée après la mort d’Emmett et orchestrée par la formidable révérende Ma Robinson, un modèle d’humour et de tolérance.

Faisant fi des discriminations, du communautarisme, des revendications identitaires et de la victimisation, elle parle le seul langage qui vaille, celui d’une humanité unie en marche pour l’égalité réelle.

« Frères et sœurs bien-aimés, soyez fiers d’être qui vous êtes, mais ne commettez pas l’erreur de vous enfermer. Ne vous laissez pas non plus enfermer. Même pas dans ce beau vocable d’Africain-Etatsunien » enjoint-elle à l’assistance pendant son sermon.

Un beau défi de taille !

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