Critique – Un été avec Homère – Sylvain Tesson – Editions des Equateurs

Critique – Un été avec Homère – Sylvain Tesson – Editions des Equateurs


Ce livre est le fruit d’une série d’émissions diffusées sur France Inter pendant l’été 2017. Pour l’écrire, Sylvain Tesson s’est retiré sur une île des Cyclades, au plus près des lieux où se sont déroulées l’Iliade, récit de la guerre de Troie, et l’Odyssée, narration du retour d’Ulysse à Ithaque.

En se plongeant dans les poèmes attribués à l’aède Homère, l’auteur de « Dans les forêts de Sibérie » souligne l’intemporalité et la modernité de l’oeuvre. Cette permanence révélée l’autorise à faire des parallèles avec la situation actuelle, notamment au plan des relations internationales ou encore de la destruction de la nature.

Composée au VIIIème siècle avant Jésus-Christ, l’épopée met en évidence « l’invariabilité » de la condition humaine. L’homme est-il libre ou est-il soumis à son destin ? Tel est le dilemme auquel chacun d’entre nous est confronté et le chantre nous aide à faire avec. A ce choix douloureux s’ajoute la problématique du sens à donner à notre vie. Qu’est-il préférable ? « Acquérir un renom ou jouir de la douceur ? ».

Ayant en horreur son époque, Sylvain Tesson ne peut s’empêcher de régler son compte au « petit-bourgeois nommé Bourdieu », aux pédagogues égalitaristes, aux GAFA, démiurges des temps modernes, qui valorisent la transparence et le narcissisme, à l’air du temps qui flatte les victimes et les faibles au détriment de l’héroïsme qui consiste à donner sa vie pour l’autre,

Porté par un souffle homérique, cet essai rappelle que, comme l’a dit Victor Hugo, c’est la Grèce qui a porté le flambeau de la civilisation et instillé une lecture non manichéenne du monde (« C’est là une trace du génie grec de ne jamais trancher en l’homme le frontière du bien et du mal ») contrairement aux monothéismes qui injectent « les toxines de la morale ».

EXTRAITS

  • Aujourd’hui, les joutes compliquées de Zeus ont leur équivalent au Moyen-Orient où les puissances mondiales placent leurs pions sur un damier comme on planterait des torchères sur le couvercle d’un baril de poudre.
  • Et si nous autres, les hommes, nous nous étions comportés à l’égard de la nature comme Achille envers les dieux ? Nous avons dérégulé l’équilibre. Nous avons dépassé les bornes, harassé le monde, fait disparaître les animaux, fondre les glaces, s’acidifier les sols. Et aujourd’hui notre fleuve Scamandre, c’est-à-dire toutes les manifestations du Vivant, sort de son silence pour signaler nos excès.
  • Le monde homérique n’est pas essentialiste. Il ressemble au réel : transversal.
  • L’amour et la haine, le pouvoir et la soumission, l’envie de rentrer chez soi, l’affirmation et l’oubli, la tentation et la constance, la curiosité et le courage. Rien ne varie sur notre Terre.
  • Sans savoir Ulysse dans l’assemblée, un aède raconte le conflit du héros contre Achille. Ulysse entend sa propre histoire dans la bouche d’un barde. Le monde grec vient d’inventer la littérature ! Car la littérature, c’est parler des absents.
  • Plus tard, les Grecs de l’âge classique trouveront un moyen de rejoindre l’immortalité en bâtissant des villes, en couvrant le monde d’oeuvres d’art, en inventant des systèmes politiques et des lois qu’ils espéreront et donc impérissables.
  • On est libre de nager à contre-courant d’un fleuve dont on est impuissant à changer le sens.
  • L’homme grec se contente du réel.
  • L’homme grec n’attend pas l’au-delà. Il faudra les révélations monothéistes pour brandir devant lui l’imposture des promesses.
  • L’homme s’invente des paradis qui le dédouanent de vénérer son substrat.
  • La société grecque est aristocratique. Il ne s’agit pas d’une aristocratie de titre, mais d’une transposition dans le monde des hommes de l’inégalité naturelle.
  • La mélédiction de l’homme consiste à ne jamais se contenter de ce qu’il est.

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