Critique – M, l’enfant du siècle – Antonio Scurati – Les Arènes
« M, l’enfant du siècle » est le premier volume d’une trilogie que Antonio Scurati a choisi de consacrer à Benito Mussolini.
Cet opus commence en 1919 pour se terminer dans les premiers jours de 1925. Des 36 années qui ont précédé, le lauréat du Prix Strega 2019, nous ne saurons quasiment rien. Ce qui l’intéresse c’est de comprendre comment un fils de forgeron devenu instituteur a réussi à prendre le pouvoir.
Avant de fonder les Faisceaux de combat, embryon du Parti national fasciste, en mars 1919, Mussolini était socialiste et directeur de « L’Avanti », le quotidien du parti. Souhaitant l’intervention de l’Italie dans le premier conflit mondial, il est exclu du PSI, perd son poste de journaliste et crée en novembre 1914 « Il Popola d’Italia », organe de presse qui servira ses ambitions.
S’estimant trahis par les alliés qui n’ont pas respecté leurs promesses, les Italiens sont indignés. C’est sur ce sentiment que va surfer Mussolini qui entend bien redonner sa grandeur à son pays. (« Inutile de le nier, je suis comme les bêtes : je sens l’air du temps » pense-t-il).
Bien que la gauche ait le vent en poupe, la tâche va être relativement facile. Malgré la multiplication des grèves et des soulèvements, sévèrement réprimés par les carabiniers souvent complices des milices fascistes qui n’hésitent pas à faire le coup de poing, la révolution n’aura pas lieu. Une occasion manquée qui ouvrira un boulevard au Duce qui symbolise l’ordre et profite de la faiblesse, de la lâcheté et de l’aveuglement de l’Etat, des gouvernements successifs et de la plupart des politiques qui se feront manger tout cru. A l’exception notable du courageux socialiste Giacomo Matteoti.
Construit comme un journal retraçant minutieusement la montée inexorable du fascisme, « M, l’enfant du siècle » souligne comment une poignée d’hommes, souvent des bras cassés, va prendre le pouvoir. Une prise de pouvoir qui était évitable si les démocrates avaient repéré le double jeu de Mussolini qui agitait inlassablement la carotte et le bâton alors que, à l’origine, il semblait plutôt indécis et presque effrayé par l’ampleur du défi qui l’attendait. Sous la plume d’Antonio Scurati, ce processus a presque l’allure d’une farce qui deviendra rapidement sinistre.
Contrairement aux idées reçues, le dictateur en herbe n’avait pas bâti une idéologie cohérente. Pragmatique, opportuniste, hypocrite, n’hésitant pas à trahir ses « amis », l’ascète, dont le seul péché mignon était la consommation effrénée de femmes, a tenté de nouer des alliances de tous les côtés avec les partis parlementaires avant de les étouffer. Il fut un tacticien hors pair qui a su semer la peur autour de lui pour l’emporter.
A l’heure où les populismes de tout poil menacent les démocraties, la lecture de « M, l’enfant du siècle » est salutaire. Et la forme romanesque, d’un accès plus facile qu’un essai historique, permettra de toucher un lectorat plus large.
Dommage que certains passages soient parfois indigestes et redondants.
Merci à Babelio et aux éditions « Les Arènes » de m’avoir offert ce livre.
EXTRAITS
- La victoire guerrière a laissé dans les consciences de tous la bile de la défaite.
- Le fascisme n’est pas un rassemblement d’hommes politiques, mais de guerriers.
- Des petits-bourgeois pleins de haine : voilà qui composera leur armée.
- Si ça continue, ce ne seront pas les communistes qui feront la révolution, ce seront les propriétaires d’un deux-pièces dans un immeuble de banlieue.
- Il devra persuader la jeunesse que, pour sauver la pureté, il est nécessaire de coucher avec la vieille putain.
- Mussolini, député, se laisse aller sans frein à la joie insolente. Il est devenu l’homme qu’il détestait dans sa jeunesse.
- La tactique de Mussolini est inchangée : doser, diluer, dilater, pour négocier ensuite depuis une position de force.
- Négocier avec tout le monde, trahir tout le monde.
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