Critique – Un jour viendra – Giulia Caminito – Gallmeister

Critique – Un jour viendra – Giulia Caminito – Gallmeister


« On l’appelait l’enfant mie de pain parce qu’il était le fils du boulanger et qu’il était faible ». Malgré sa fragilité, Nicola tire, à sa demande, sur son frère aîné Lupo.

Cette scène d’une violente âpreté inaugure le premier roman traduit en français de Giulia Caminito.

Nous sommes à Serra de’ Conti, village perché des Marches, à la veille de la Grande Guerre.

La famille Ceresa cumule les malheurs. On disait même que « les corbeaux mangeaient à leur table ».

Le pater familias Luigi, la « bedaine gonflée (…) de vin », n’est pas doué pour le commerce et pour les relations humaines. A fortiori avec son épouse Violante qui perd la vue et dont le quotidien est rythmé par les accouchements et la mort de nombreux enfants. Elle qui avait rêvé d’une autre vie. Ceux qui ont survécu, elles les détestent. Surtout Nicola, effrayant avec ses silences, ses peurs, son altérité, son inaptitude au labeur et son goût pour les mots.

Que faire de ce rejeton asexué et névrosé ? Un curé propose la mère. « Personne ne donnera Nini au prêtre » s’emporte l’intransigeant Lupo qui n’aura de cesse de protéger son petit frère. Ces deux inséparables-là incarnent la pureté dans un monde laid, sale et mensonger.

Non loin du taudis familial miné par la misère, les superstitions et la fatalité, un couvent domine le bourg. Il est dirigé par Soeur Clara, une ancienne esclave née au Soudan qui se bat pour sa communauté ce qui n’a pas l’heur de plaire à sa hiérarchie et à une société revancharde. Ces nonnes trop indépendantes doivent être anéanties.

Ancré dans une réalité historique qui est celle du début du vingtième siècle avec la confrontation entre une religion dévoyée par un clergé tout-puissant et hypocrite et l’émergence d’une radicalité politique incarnée par le mouvement anarchiste, « Un jour viendra » est le magnifique récit d’un amour fraternel augmenté du portrait d’une femme qui refuse toutes les concessions.

L’écriture est puissante, lyrique, théâtrale et visuelle. C’est une ode à la liberté et à l’ailleurs et une très belle lecture aux allures de conte inspirée de la famille de l’autrice et du personnage de l’abbesse qui a réellement existé.

EXTRAITS

  • En ces lieux les hommes n’importaient pas, c’était la terre qui gouvernait, car la terre restait alors que les hommes partaient.
  • Il n’était pas dans la nature de Nicola d’être au monde comme les autres.
  • A la guerre, un âne vivant vaut plus qu’un soldat mort, disait-on.

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