Critique – Sérotonine – Michel Houellebecq – Flammarion
« J’ai quarante-six ans, je m’appelle Florent-Claude Labrouste » (c’est à cet âge que Gérard de Nerval s’est suicidé et que Charles Baudelaire est mort). C’est dans un style laconique que se présente le narrateur de « Sérotonine ».
Celui qui déteste son prénom, et on le comprend, est l’archétype du héros houellebecquien : désabusé, dépressif, seul par la force des choses, pessimiste, dépourvu de toute ambition, apathique, asocial… Il aime néanmoins les « filles fraîches, écologiques et triolistes ». Mais, l’asthénie gagnant, le peu de désir qu’il éprouve pour la gente féminine va s’évanouir.
Bien qu’il soit shooté au Captorix, dont l’un des effets secondaires est « la disparition de la libido », censé lui permettre « d’intégrer avec une aisance nouvelle les rites majeurs d’une vie normale », cet ingénieur de formation (comme l’auteur de « Soumission » !) ne s’aime décidément pas. Le monde qui l’entoure ne va pas l’aider à s’épanouir et à trouver le bonheur. Houellebecq se délecte avec une jouissance communicative à autopsier notre société avec son lot de centres commerciaux vulgaires, sa pornographie étalée pour combler un vide existentiel et une vie sexuelle mesquine, son tourisme de masse, son avidité pour l’argent, sa mondialisation libérale qui détruit l’agriculture nationale… Des thèmes qui résonnent comme des mantras chez lui.
Florent-Claude remet en cause son travail chez Monsanto s’inquiétant « de la dangerosité des OGM » et dégotte un emploi à la DRAF de Caen. Défendre l’utilisation du lait cru pour la fabrication des camemberts contre les industriels semble donner un sens à sa vie.
Installé dans une ravissante maison typique de la région, il découvre les charmes de la campagne. Cette nouvelle existence lui donne envie de renouer avec ses amitiés et ses amours passées. Du temps où il était heureux, où tous les espoirs étaient permis avant que les désillusions ne s’installent à l’âge adulte.
L’humour enthousiasmant qui dominait la première partie du roman laisse alors la place au désespoir, au désenchantement, aux regrets, aux remords, au constat terrible de la mort des amours gâchées… Le héros de Houellebecq se transforme en un incorrigible romantique qui n’hésite pas à citer Lamartine : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Il se fait aussi féministe soulignant que les hommes ne savent pas vivre.
Le cynisme, marque de fabrique de Houellebecq, se mue peu à peu en une forme d’empathie pour un personnage attachant tant il nous ressemble. Et, comme Proust, le héros conclut qu’il n’a besoin que « de légères amours avec des jeunes filles en fleurs ». Touchant et presque optimiste après tant de désenchantement.
EXTRAITS
- La nicotine est une drogue parfaite, une drogue simple et dure, qui n’apporte aucune joie, qui se définit entièrement par le manque, et par la cessation du manque.
- La Hollande n’est pas un pays, c’est tout au plus une entreprise.
- Le monde extérieur était dur, impitoyable aux faibles, il ne tenait presque jamais ses promesses, et l’amour restait la seule chose en laquelle on puisse encore, peut-être, avoir foi.
- Il aurait au fond suffi d’une fille, il suffit toujours d’une fille.
- Décidément on ne peut rien à la vie des gens me disais-je, ni l’amitié ni la compassion ni la psychologie ni l’intelligence des situations ne sont d’une utilité quelconque, les gens fabriquent eux-mêmes le mécanisme de leur malheur, ils remontent la clef à bloc et ensuite le mécanisme continue de tourner, inéluctablement, avec quelques ratés, quelques faiblesses lorsque la maladie s’en mêle, mais il continue de tourner jusqu’à la fin, jusqu’à la dernière seconde.
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