Critique – L’homme qui tremble – Lionel Duroy – Mialet-Barrault
Depuis l’âge de 20 ans, Lionel Duroy, qui en a aujourd’hui 71, a consacré la plupart de ses romans à ses proches : Toto, le père, Christiane, la mère, ses neuf frères et sœurs, les femmes de sa vie, ses enfants. Ses confessions l’ont brouillé avec une bonne partie des siens.
Cette fois-ci, il braque le projecteur sur sa personne pour tenter de percer le rôle qu’il a joué dans cette épopée familiale et affirmer combien l’écriture lui a sauvé la vie. « L’homme qui tremble » serait en quelque sorte la synthèse de toute son entreprise littéraire.
Chaque moment dans lequel il compose son œuvre s’accompagne de la lecture d’un livre : Richard Ford, Malaparte, Rilke… Pour cet autoportrait, le déclic a lieu avec « Supplément à la vie de Barbara Loden » de Nathalie Léger inspiré d’un fait divers dans lequel l’héroïne était là sans l’être vraiment. Exactement comme lui ! « Tu étais là, papa, mais tu n’étais pas là » lui reprochent ses enfants. Ce constat, il le fait aussi à propos de son propre père.
Qu’est-ce qui explique sa présence-absence aux autres ? L’explication se trouve, comme souvent, dans l’enfance. Dans le regard de la mère qui, contemplant les « bonnes joues » de son rejeton, arbore un rictus qui est tout sauf un compliment. Dans la folie de sa génitrice qui lui fait peur. Dans le manque d’amour qui l’empêche d’avoir de la considération pour lui-même. Dans le sentiment d’abandon qu’il ressent lorsqu’il est hospitalisé pour une cirrhose du foie alors que, à 11 ans, il n’avait jamais bu une goutte d’alcool. C’est à cet âge qu’il commence à être accablé par la « tristesse d’exister », une sensation qui le poursuivra toute sa vie plus ou moins par intermittence. Le lycée le « sort petit à petit » de son « accablement ». La moto devient son « unique objet de désir ». A l’approche de la majorité de l’époque, la révélation de l’amitié, lui qui n’a jamais eu de complices, le réconforte. La découverte d’une évidence : il sera écrivain. La rencontre avec Agnès qui deviendra sa première épouse. « Je suis aimé, enfin je suis aimé » pense-t-il, ajoutant : « c’est d’abord moi que j’aime à travers elle ».
Alors qu’il a dépassé la trentaine, il publie, avec le soutien indéfectible de son éditeur Curtis, « Priez pour nous », le premier roman inspiré de sa famille. Il sera suivi de nombreux autres livres qui reconstitueront l’histoire d’une vie par le prisme de la filiation.
Avec « L’homme qui tremble », Lionel Duroy clôt un chapitre d’un récit qui l’a « occupé » pendant plus de trente ans.
Avec finesse, justesse, sans jamais se donner le beau rôle (il se décrit comme lâche, égoïste, lunatique, indifférent, dépressif, traître, frustré, solitaire, fuyant…), il semble enfin se réconcilier avec le poids de l’héritage qui a assombri sa vie. Et c’est la force de l’écriture, malgré les affres de la création et de l’accouchement, d’avoir permis cet apaisement. Presque une forme de purification et de seconde naissance, une manière de se sauver, une raison de vivre, un sacerdoce, un dévoilement de soi et des autres.
EXTRAIT
- Sans l’écriture, je ne suis rien.
- A chaque livre, j’ai le sentiment de jouer toute ma vie.
Vous devez être connecté(e) pour rédiger un commentaire.
+ There are no comments
Add yours