Critique – La Fête des mères – Richard Morgiève – Joëlle Losfeld
Il y a plus de dix ans, une vague connaissance demande à Richard Morgiève d’écrire sa biographie. Séduit par le romanesque de son existence, l’auteur accepte à condition qu’il puisse la fictionner et la signer du nom du personnage principal : Jacques Bauchot. Le résultat est publié par Carnets nord en 2015. Ce fut un fiasco éditorial.
En 2023 il paraît de nouveau, après quelques corrections, chez Joëlle Losfeld.
Jacques vit dans une famille bourgeoise versaillaise. La mère est cruelle, prétentieuse, méprisante, égocentrique, manipulatrice, toxique… Mais elle est tellement belle que son deuxième fils lui pardonne beaucoup. Et puis elle est tellement malheureuse que son comportement cyclothymique est sûrement la conséquence d’une profonde dépression et d’un mal-être abyssal.
Le père est banquier, souvent absent, toujours ramené par son épouse à son passé de détenu dans un camp de concentration d’où il est revenu incontinent. Parce que son père a été déporté, parce que son « charmant » grand-père maternel l’appelle « Dreyfus », parce que son aîné le surnomme le « circonscrit » (sic), Jacques est persuadé qu’il est juif et craint d’être incontinent comme son père…
Jacques et ses trois frères tentent de survivre tant bien que mal dans cette tribu éclatée et dysfonctionnelle. Malgré leurs rancœurs, leurs différences et leurs jalousies, ils vont se rapprocher et tenter de créer un cocon protecteur face à leurs parents si imparfaits.
Dans une écriture fulgurante à l’humour noir et à la poésie sombre, l’auteur de « Cherokee » a dessiné le portrait tendre d’un enfant qui se transforme en adulte avec un lourd bagage de névroses et de peurs. Le récit est parcouru par une question angoissante et vertigineuse : qu’est-ce qu’être un homme et comment le devient-on ?
La réponse est peut-être dans un trèfle à cinq feuilles, un haricot magique, un lac où lancer sa canne à pêche, un petit bout d’Afrique et un ami lointain qui s’appelle Roch Dambert, celui qui guide ?
EXTRAITS
- Il n’y a pas d’éternité pour l’amour mais des romans pour le raconter.
- J’étais perdu de mère.
- Sans le rêve, on ferait comment pour supporter notre existence ?
- Dès qu’il y avait la parole, il y avait le mensonge, la haine.
- J’avais été enfant si peu…
- On était toujours dans une autre histoire, écrite par d’autres.
- Après les camps, le métier d’humain était devenu presque impossible.
- Le problème, avec le langage, c’était qu’il dénaturait toujours la pensée, il nous dénaturait tout court.
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