Critique – L’Avion, Poutine, l’Amérique… et moi – Marc Dugain – Albin Michel

Critique – L’Avion, Poutine, l’Amérique… et moi – Marc Dugain – Albin Michel


La petite trentaine, le narrateur travaille à New York dans le financement aéronautique.

Nous sommes à la fin des années 1980 et le capitalisme triomphe grâce à Reagan qui fut président des États-Unis pendant presque toute la décennie.

Avant que le mur de Berlin ne tombe et que le bloc soviétique n’éclate, l’URSS est empêtrée en Afghanistan et son économie tournée vers l’armement est menacée de faillite.

Les idéologies allaient disparaître et la mondialisation libérale l’emporter pensait-on.

Cette époque est bénie pour faire du fric. Et c’est l’objectif du narrateur, double de l’auteur. Pas pour en amasser toujours plus mais suffisamment pour, à quarante ans,s’offrir une indépendance financière pour faire autre chose.

Gagner beaucoup d’argent, c’est aussi faire un pied de nez à sa mère qui l’avait « longtemps considéré comme un artiste bon à pas grand chose ».

Que ferait-il alors de son existence à son mitan ? « Je n’en avais pas la moindre idée » affirme-t-il.

Pourquoi pas des romans puisque sa vie en est manifestement un ?

En attendant, il fait du fric sans être dupe des travers du pays qui l’accueille : culte du pognon et des apparences, hypocrisie, superficialité des relations, « violence générale des rapports humains ».

Accaparé par son job, il a peu de temps pour sa famille : deux enfants qu’il a eus très jeune et une épouse dépressive qui découvre l’infidélité de son mari avec une énigmatique collègue de travail.

Après avoir été déclarée psychotique, sa femme est internée. De retour de la clinique, elle se suicide.

Commence alors pour le narrateur l’une des enquêtes qui vont émailler le récit. Sauf que celle-ci relève de l’intime et de la tentative de l’intelligence d’une personne qu’on n’a finalement jamais comprise, dont on n’a jamais su déceler les blessures qui remonteraient à l’enfance.

Les autres investigations, qui nous font plonger dans une histoire à la John Le Carré, auxquelles Marc Dugain va se prêter vont lui causer quelques soucis avec la Russie, où il séjourne souvent pour son business, et les États-Unis.

La première porte sur la tragédie du sous-marin « Koursk » en 2000 dont Poutine a refusé de sauver l’équipage parce qu’il aurait accepté trop tard, dans un geste d’orgueil dont il est coutumier, l’aide occidentale.

La seconde, plus complexe, concerne le disparition de l’avion du vol MH370 de la Malyasia Airlines en 2014, conséquence tragique d’un règlement de comptes entre les USA et la Russie.

Qu’en est-il du parcours du narrateur qui s’était promis d’arrêter de faire du fric pour vivre autre chose ? Il s’est lancé dans l’écriture de romans parce qu’il avait assigné à la fiction la mission de le sauver du réel.

Le premier opus d’une longue série fut « La Chambre des officiers » (1998) qui raconte l’histoire de son grand-père revenu de la guerre de 14 avec une gueule cassée.

« L’Avion, Poutine, l’Amérique… et moi » continue de creuser la veine biographique. Sauf que, cette fois-ci, l’auteur est le propre objet du récit, un récit qui aborde, avec intelligence, les thèmes qui lui sont chers – les mensonges d’État et la quête de la vérité – tout en en dévoilant un peu plus sur lui et ses angoisses existentielles qui viendraient de son sentiment d’être « un homme de 14 » conscient que cette guerre que son aïeul a vécue dans sa chair fut le « suicide collectif d’une civilisation qui découvre qu’elle a les moyens de sa destruction totale ». Il poursuit en avouant qu’il était condamné « à la joie d’avoir seulement survécu à l’anéantissement ».

Marc Dugain nous tient tellement en haleine qu’on pourrait qualifier son livre de thriller autobiographique.

EXTRAITS

  • L’obsession du bonheur commençait à envahir l’époque, une ambition trop vaste pour une espèce dont les malheurs proviennent essentiellement d’elle-même.
  • Écrire n’est pas se retirer du monde, c’est au contraire un travail obsédant visant à en démonter les mécanismes les plus secrets.
  • Il faut se méfier des romans : à force de mentir, ils finissent par exprimer la vérité.

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