Critique – Les Émigrants – W. G. Sebald – Actes Sud
Depuis le temps que j’entends parler de Sebald, j’ai enfin ouvert l’un de ses livres. J’ai choisi celui qui a été qualifié « d’œuvre d’exception » : « Les Émigrants », variation sur l’exil voulu ou imposé de quatre hommes que l’auteur a connus de près ou de loin.
Né un an avant la défaite de l’Allemagne hitlérienne d’un père soldat dans la Wehrmacht, l’écrivain n’a jamais compris le silence des générations qui l’ont précédé et qui ont voulu tourner la page d’un passé tragique.
– Le premier portrait met en scène Henry Selwyn rencontré en Angleterre dans les années 1970 lorsque Sebald et son épouse étaient à la recherche d’un logement. Le médecin lui raconte comment une dépression l’a frappé lorsqu’il a appris la disparition d’un ami guide de montagne en Suisse.
Le temps passant, ses souffrances psychologiques se sont transformées en « mal du pays », ce pays étant la Lituanie où il est né et que sa famille a quittée pour fuir l’antisémitisme.
- Le deuxième s’attache à Paul Bereyter, instituteur de Sebald lorsqu’il était à l’école primaire. Formidable pédagogue amoureux de la nature et de la musique, soucieux d’ouvrir la curiosité de ses élèves, capable, « à partir de rien de dispenser les cours les plus beaux », il est pourtant profondément sombre.
« Il était en vérité le désespoir fait homme » écrit Sebald qui enquêta pour découvrir les raisons de ce mal-être. Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, les Juifs furent chassés de l’enseignement. Paul qui était pourtant « aux trois quarts aryen » en fut victime. La femme qu’il aime disparaît, probablement déportée. Son père décède choqué par les « graves exactions commises à l’encontre de familles juives » dans sa ville natale. Sa mère suit son époux dans la mort peu de temps après. Six ans durant, il est mobilisé pour défendre le pays qui l’a pourtant rejeté.
- Ambros Adelwarth est le grand-oncle de l’auteur. Il fait partie de la famille américaine de celui-ci ayant quitté l’Allemagne pour d’autres horizons. Et des horizons, il va en découvrir beaucoup en baroudant dans le monde entier au service du rejeton du fortuné Samuel Solomon. Il découvrit alors toute la cruauté que l’espèce humaine était en mesure de faire et ne s’en remit jamais.
- Le quatrième est Max Ferber que Sebald rencontre à Manchester. Ce peintre infatigable est à l’origine d’une œuvre extrêmement noire exprimant ses tourments intérieurs. Lui aussi a perdu ses parents en déportation
Pourquoi Sebald a-t-il écrit sur ses quatre hommes quasiment apatrides qui se sont suicidés ou se sont laissé mourir ? Parce que lui aussi s’est exilé en rejoignant l’Angleterre à l’âge de vingt-deux ans. Parce que lui aussi portait le poids d’une humanité capable d’exterminer entre cinq et six millions de Juifs. Sans compter les Tziganes, les homosexuels, les handicapés…
Comme Nabokov qui chassait les papillons, Sebald traque les souvenirs du quatuor désolé et lui offre un tombeau poignant.
Objet littéraire singulier mêlant faits réels, reconstitués et imaginés, photos qui sont autant de témoignages d’une époque, digressions recréant l’ambiance d’un passé révolu, « Les Émigrants » touche par la reconstitution qu’il propose d’un monde envolé et par le travail de mémoire qu’il soumet à ses lecteurs.
EXTRAITS
- Certaines choses ont une manière de resurgir à l’improviste, inopinément, souvent après une longue absence.
- Quand je pense à l’Allemagne, elle se présente à mon esprit comme quelque chose de démentiel.
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