Critique – Armures – Stéphanie Hochet – Rivages
Depuis qu’elle est entrée en écriture au tout début des années 2000, Stéphanie Hochet apparaît sans conteste comme une voix singulière et talentueuse du paysage littéraire français.
Elle le prouve une nouvelle fois puissamment avec son dernier opus qui nous transporte au quinzième siècle.
La guerre de Cent ans n’en finit pas d’opposer les Français aux Anglais soutenus par les Bourguignons.
À Domrémy, actuellement en Lorraine, une jeune fille nommée Jeanne d’Arc a des visions et entend des voix, celles de saint Michel et des saintes Catherine et Marguerite qui lui enjoignent de venir en aide à Charles VII pour bouter les Godons hors du royaume de France et faire sacrer le Dauphin à Reims.
Voilà résumé ce que les livres d’histoire nous ont enseigné.
Si l’autrice ne réfute pas ce récit, elle fait aussi de celle qui fut surnommée la Pucelle d’Orléans une féministe qui refusa les rôles assignés à son genre, dont sa mère était la parfaite illustration, et « une vie étroite de mammifère terré. »
Habillée en soldat, « les cheveux coupés à la manière d’un garçon », galopant sur un fier destrier, la jouvencelle de dix-sept ans s’envole vers Chinon à la rencontre du futur roi de France pour le convaincre de la soutenir.
Et Jeanne, avec son éloquence assurée et sa connaissance de la situation du pays, est sacrément persuasive. Elle l’est tellement qu’elle convertit le prétendant au trône à sa croisade.
Flanquée de compagnons de combat, elle s’attaque aux Anglais.
Parmi ces valeureux soldats envoûtés par le charisme de la donzelle parade, le plus fidèle des fidèles s’appelle Gilles de Rais.
Orphelin très tôt, le chevalier est élevé à la dure par un grand-père sadique. Très jeune, il éprouve une forme de jouissance à batailler jusqu’à l’épuisement. À treize ans, il tue un jeune homme, se repaît de son agonie et « pose sa bouche sur les lèvres bleuâtres » du cadavre.
Ce n’est qu’à la mort de Jeanne, dont il fut platoniquement amoureux, dont il admire la pureté, lui qui n’est que souillure, dont il savoure en secret le caractère asexué, avec laquelle il partage une dévotion pour le Christ, qu’il devient le monstre pédocriminel dont la figure est toujours prégnante et qu’on retrouve chez un Fourniret surnommé « l’ogre des Ardennes ».
Quels que soient les moments, les ogres sont partout, dans les contes et dans la réalité. En tout lieu, ils détruisent l’innocence.
Tout en décrivant avec exactitude le parcours de Jeanne, l’autrice imagine celle-ci assaillie par le doute (a-t-elle vraiment entendu des voix ?) nous la rendant plus humaine, voire menteuse avec la manière dont elle se serait approprié les récits populaires évoquant une pucelle qui défendrait le Royaume de France à l’exemple de Jésus envoyé sur terre pour sauver le monde.
Sa sainteté n’est pas exempte de travers : ses possibles mensonges, son orgueil, sa prétention, son côté donneuse de leçons et son intolérance, notamment envers les « ribaudes » qui proposaient leurs charmes aux soldats…
Après nous avoir immergé dans la première moitié du quinzième siècle où la perfection se mêle à dépravation absolue, Stéphanie Hochet nous plonge dans un univers qu’elle connaît bien : celui de sa famille.
« Car personne n’a autant observé la sainteté incarnée que moi » écrit-elle en évoquant sa génitrice aimantée par un homme qui devint son mari et le père de l’écrivaine.
Celui qu’elle qualifie d’ogre est l’héritier d’une « famille funeste » dont les membres haïssent tellement leurs rejetons qu’ils les détruisent en les violant, en les poussant au suicide et autres joyeusetés.
Coïncidence de l’histoire : la grand-mère paternelle de Stéphanie Hochet est originaire de Tiffauges, dont Gilles de Rais possédait le château…
La sainte mère qui se mortifie et se soumet à son époux n’est pas aussi douce qu’elle n’en a l’air, surtout avec sa fille indocile lorsqu’elle manque de respect au père fouettard et dont elle ne supporte pas les allures de « garçon manqué ».
L’enfance que l’autrice a vécue et qu’elle décrit si bien est proprement effrayante.
Pour résumer, « Armures » est un conte moderne, un récit composite époustouflant de maîtrise et d’intelligence, qui mêle faits historiques, produit de l’imagination et autofiction et qui s’interroge, via ses personnages dont l’autrice fait partie, sur le genre ; l’androgynie ; les constructions qui définissent la sainteté et la monstruosité, deux extrêmes qui s’attirent comme Jeanne et Gilles et comme la mère et le père ; la condition de la femme à travers les époques (un exemple : avant d’être autorisée à combattre, Jeanne dut subir la vérification de sa virginité. Cette profanation du corps fait écho au viol de Shaïna qui s’est déroulé à Creil en 2019 par des garçons qui voulaient s’assurer que son hymen était intact) ; le rapport à la famille qui instaure une forme de lien de dépendance parfois toxique dont on aspire à se défaire…
EXTRAITS
- Je sais que refuser l’imitation des parents est un acte de rébellion qu’on paye souvent cher.
- Bien après la mort de Gilles de Rais, la famille peut devenir une sorte de duché féodal où les seigneurs dominent les vassaux.
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