Critique – Vie et destin – Vassili Grossman – L’Age d’homme

Critique – Vie et destin – Vassili Grossman – L’Age d’homme


Ecrit dans les années 1950 et terminé en 1960, le manuscrit de « Vie et destin » aurait été détruit par le KGB. Il partage cet « honneur » avec « L’archipel du Goulag » d’Alexandre Soljenitsyne.

Fort heureusement, Vassili Grossman avait caché deux copies de ce roman-fleuve qui fut publié en Suisse en 1980.

En 1941, l’écrivain s’engage comme soldat et collabore au journal « L’étoile rouge ». C’est alors qu’il prend conscience des perversités du système soviétique n’hésitant pas à faire un parallèle avec le nazisme.

Que contenait de si dangereux ce pavé pour le régime ?

A travers des personnages réels ou de fiction gravitant ou pas autour de la famille Chapochnikov, de Moscou à Stalingrad en passant par Kazan, du front aux camps en passant par l’arrière, l’auteur démonte les mécanismes du stalinisme dont le fondement est la délation, encouragée par un parti qui nie toute liberté individuelle à son profit exclusif. C’est le principe du totalitarisme qui fait de vous, parfois pour un détail, une simple blague, un mouvement d’humeur, un « ennemi du peuple ». Ce processus a été fort bien décrit par Milan Kundera dans « La plaisanterie ».

En tant que témoin des événements et individu meurtri dans sa chair (sa mère fut assassinée en 1941 avec les Juifs du ghetto de Berditchev) comme le fut Strum, l’un des principaux protagonistes du roman, il raconte, mêlant lyrisme et description clinique et distanciée, la période de la bataille de Stalingrad, moment décisif où la guerre bascula au détriment des Nazis. Et il n’hésite pas à comparer les régimes communiste et nazi comme le fit Hannah Arendt en 1951 dans « Les origines du totalitarisme ».

La distance qu’il instaure avec son objet provoque chez le lecteur un sentiment d’effroi bien plus fort que si l’auteur faisait dans le pathos et le larmoyant (cf. la scène terrible dans la chambre à gaz).

Il souligne aussi combien, dans une démarche plus intimiste et psychologique, les événements influent sur le comportement et les sentiments.

« Vie et destin » est bien un témoignage essentiel pour mieux comprendre un vingtième siècle particulièrement meurtrier. C’est aussi une ode à la liberté, à la bonté de l’homme et à l’altérité.

EXTRAITS

  • La vie devient impossible quand on efface par la force les différences et les particularités.
  • Le national-socialisme avait créé un nouveau type de détenus politiques : les criminels qui n’avaient pas commis de crimes.
  • Ainsi le ghetto est l’endroit au monde où il y a le plus d’espérance. Le monde est rempli d’événements qui n’ont qu’un sens, qu’une cause : le salut des Juifs.
  • Mais ce qui caractérise l’esprit de parti, c’est précisément que les sacrifices ne sont pas nécessaires, ils ne sont pas nécessaires parce que les sentiments personnels, l’amour, l’amitié, la solidarité , disparaissent d’eux-mêmes quand ils entrent en contradiction avec l’esprit du parti.
  • La violence exercée par un Etat totalitaire est si grande qu’elle cesse d’être un moyen pour devenir l’objet d’une adoration quasi mystique et religieuse.Sinon, comment peut-on expliquer que des penseurs juifs non dépourvus d’intelligence aient pu affirmer qu’il était indispensable de tuer les Juifs pour réaliser le bonheur de l’humanité et qu’il étaient prêts à conduire leurs propres enfants à l’abattoir, qu’ils étaient prêts à répéter, pour le bonheur de leur patrie, le sacrifice d’Abraham ?
  • Oh, la force claire d’une parole libre et joyeuse ! Elle existe justement parce qu’on la prononce soudain malgré toutes les peurs.
  • En mille ans, la Russie a été libre pendant six mois à peine.
  • L’histoire des hommes n’est pas le combat du bien chervhant à vaincre le mal. L’histoire de l’homme c’est le combat du mal cherchant à écraser la minuscule graine d’humanité.
  • Il faisait bon dans le block du Sonderkommando qui desservait la chambre à gaz, le dépôt de Zyklon et les fours crématoires.
  • Il lui semblait que cette femme, dont il venait d’embrasser les doigts, aurait pu remplacer tout ce qu’il souhaitait dans la vie, tout ce dont il rêvait : la science, la gloire, la joie d’être reconnu universellement.

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