Critique – Intérieur nuit – Marisha Pessl – Gallimard
Huit ans après « La physique des catastrophes », son premier roman, Marisha Pessl revient avec « Intérieur nuit », un thriller extrêmement bien maîtrisé que, malgré ses 700 pages, on ne lâche pas.
Le corps d’Ashley Cordova est retrouvé inanimé dans un endroit sordide de Chinatown. S’est-elle suicidée ? A-t-elle été assassinée ?
Le journaliste d’investigation Scott McGrath penche plutôt pour la seconde hypothèse. D’autant plus qu’il connaît bien la famille. Cinq ans plus tôt, il avait tenté de démasquer le père de la jeune fille, un réalisateur génial de films d’horreur qui s’est retiré du monde à la manière d’un Howard Hughes. Adulé pas des fans amateurs de gore, le supposé tyran aux tendances perverses et narcissiques est soupçonné des pires crimes : pédophilie, assassinat de ses acteurs…
Bien que cette première enquête lui ait coûté son mariage, le plumitif reprend du service et se glisse dans la peau d’un flic pour découvrir la vérité sur la mort d’Ashley, une enfant prodige à la beauté énigmatique. Dans sa recherche, il embarque avec lui deux compères que tout oppose : Nora, une comédienne en herbe fragile à souhait, et Hopper, un drogué plutôt bien fait de sa personne.
Le trio nous emmène alors pour un voyage au pays où l’irrationnel et le fantastique sont rois.
Le décalage entre le fantasme et la réalité est l’un des propos de ce roman gigogne terriblement efficace. Ce que nous voyons, entendons est-il réel, n’est-il pas déformé par notre imaginaire et par ce que les autres veulent nous faire croire en nous manipulant ? La manipulation est en effet le deuxième thème d’« Intérieur nuit » et, sur ce sujet, le pauvre journaliste est bien malmené. Et nous aussi, misérables lecteurs, petits « Scott » qui nous transformons en schizophrènes aux tendances paranoïaques. Cette proximité avec le personnage principal est accentuée par l’inclusion, au cœur du texte, de photographies, d’articles de presse… On aurait presque l’impression de participer à la quête effrénée de la vérité.
L’impression d’être quasiment « embedded » dans le récit est renforcée par l’empathie que nous ressentons pour les protagonistes.
Texte envoûtant, « Intérieur nuit » nous malmène avec ses multiples rebondissements, ses scènes effrayantes heureusement adoucies par l’amitié qui unit Scott, Nora et Hopper et par quelques notes d’humour.
Un vrai coup de cœur !
Hommage au cinéma de Hitchcock et de Lynch, il devrait séduire un réalisateur.
EXTRAITS
- Une fille qui aurait grandi au milieu des marguerites, des poneys shetlands et avec des parents aimants prénommés Joanie et Phil n’aurait jamais pu jouer de la musique de cette manière.
- Toute personne encore liée au texte imprimé est en train de devenir le triton crêté de la culture.
- On devrait vraiment rajouter ça, le jour du mariage. « Promets-tu de m’aimer, de m’honorer, de m’obéir et aussi de me tuer quand je ne pourrai plus tenir debout dans la douche ».
- Je vais te dire ce que j’en pense, des vieilles hippies sympas d’East Village. Elles sont toutes givrées. Elles lisent le tarot et mangent du soja. Parfois elles mangent le tarot et lisent du soja. La plupart n’ont jamais quitté le quartier depuis l’époque Nixon et possèdent sous leurs ongles de pieds une flore végétale parfaitement identifiable.
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