Critique – Les Fous du roi – Robert Penn Warren – Stock

Critique – Les Fous du roi – Robert Penn Warren – Stock


Quel plaisir pour un lecteur de découvrir un auteur qu’il ne connaissait pas et dont la maestria stylistique l’emporte vers des horizons inattendus.

Bien qu’il ait reçu à trois reprises le prix Pulitzer, Robert Penn Warren n’a en effet pas la notoriété d’un Hemingway, d’un Fitzgerald, d’un Steinbeck ou encore d’un Faulkner auquel on l’a souvent comparé.

Et pourtant ! Quelle écriture !

L’histoire, qui se déroule dans les années 1930 en Louisiane, terre du Sud accablée de chaleur et marquée par son passé esclavagiste, nous est narrée par Jack Burden, un ancien journaliste qui s’est mis au service du gouverneur Willie Starck alias le Boss.

Celui-ci est une force de la nature au langage fleuri ponctué de « bordel » et autres expressions tout aussi colorées.

Jurant agir pour les plus modestes en construisant des écoles et un hôpital, sa verve populiste se double d’une inclination à supprimer tous les obstacles sur sa route en maniant les intimidations et le chantage. Parce qu’il « y a toujours quelques chose à déterrer »…

Pourtant, l’homme politique n’a pas toujours affiché ce caractère brutal.

Lorsque Jack le rencontre pour la première fois, Willie est un brave péquenaud mal dégrossi. Il est trésorier du comté de Mason City. Prêt à remettre son mandat en jeu, il agace une bonne partie des notables du coin avec ses discours dénonçant les magouilles locales.

Manipulé par les sbires de ses opposants, il est humilié et c’est cette vexation fondatrice qui le transforma en un homme tout-puissant prêt à tout pour effacer cet affront et à tout écraser pour réaliser ses rêves de grandeur.

Inspiré de la figure du sénateur Huey Pierce qui s’entoura de mafieux pour mieux régner et qui fut assassiné, « Les Fous du roi » est un roman profondément pessimiste sur la nature humaine.

En incarnant avec intensité le Boss dont la façade de justicier intègre occulte les méthodes de voyou, il souligne combien la frontière entre le Bien et le Mal est ténue et que d’une bonne action peut naître l’affliction, l’inverse étant tout aussi vrai.

Porté par une écriture métaphorique, lyrique et d’une sombre beauté qui prend son temps pour entrer dans la psychologie des personnages et de leurs états d’âme, cette tragédie, où les passions tristes dominent, déroule une galerie de protagonistes complexes et hauts en couleur, à la solde ou pas du Boss, raconté par un garçon qui vit dans le passé avec une mère qui collectionne les maris ; un géniteur qui a fui et s’est enfermé dans la religion et l’ascétisme ; un voisin, juge de son état, qui fait office d’éducateur ; la petite Anne dont il tombera amoureux ; Adam, frère de celle-ci, parangon de vertu et son seul ami…

Ne parvenant pas à s’extraire du passé, d’où son intérêt pour l’histoire qu’il étudia en prenant pour sujet de thèse le parcours de l’un de ses ancêtres, Jack porte sur le présent un regard lucide et désabusé, mais la quête de la vérité et le passage du temps seront les plus forts et le réconcilieront avec lui-même. En dépit de tous les morts qu’il aura enterrés.

EXTRAITS

  • Ce que tu ignores ne te fait pas souffrir, car ça n’existe pas.
  • Si l’espèce humaine perdait la mémoire, elle serait pleinement heureuse.
  • L’homme est conçu dans le péché et élevé dans la corruption, il ne fait que passer de la puanteur des couches à la pestilence du linceul.
  • On ne peut conserver le passé qu’en ayant un avenir, car ils sont toujours liés l’un à l’autre.

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