Critique – Mercy Street – Jennifer Haigh – Gallmeister
Claudia travaille pour une clinique de la ville de Boston qui pratique des avortements.
Elle est en charge de l’écoute de femmes enceintes qui ne souhaitent pas l’enfant en devenir qu’elles portent. Elle entend leur détresse liée à leur situation financière, à leur jeune âge, à leur solitude, à l’obstacle que représente la maternité pour leurs projets d’avenir… Même si ce n’est pas de gaîté de cœur, toutes ont de bonnes raisons d’interrompre leur grossesse. Et pour un fœtus, c’est parfois une bénédiction de ne pas voir le jour, compte tenu des maltraitances potentielles qui le menacent si sa mère ne le désire pas.
Si l’avortement est légal au Massachusetts, y accéder est un véritable parcours du combattant, l’État de la région de la Nouvelle-Angleterre étant intraitable sur le respect des délais et la justice humiliante avec les jeunes filles mineures prises au piège.
L’accès aux établissements qui le pratiquent est une difficulté supplémentaire pour ces femmes désœuvrées.
Devant la clinique de Mercy Street, les « pro-life » tentent en effet de dissuader celles-ci de supprimer la vie que leur ventre contient.
Et leurs méthodes vont se muscler au fur et à mesure de leurs interventions…
C’est autour de Claudia et de l’un des droits fondamentaux des femmes remis en cause par de nombreux politiciens et citoyens américains que s’organise le récit.
Claudia est une transfuge de classe refusant le déterminisme social que lui promettaient une enfance et une adolescence passées dans un mobile home enfumé avec une télévision hurlant en permanence auprès d’une mère peu affectueuse, symbole de la catégorie sociale « white trash » désignant les Blancs pauvres peu éduqués.
C’est la honte de sa mère et de tout ce qu’elle représente qui la fera quitter cet endroit désespérant et décrocher un master en travail social qui l’amènera à Mercy Street pour entendre la parole de patientes brisées, un travail qu’elle aime mais qui est tellement pesant et stressant qu’elle s’autorise, de temps à autre, des séances de fumettes. C’est là qu’apparaît Timmy, son dealer, et c’est chez lui qu’elle croise Anthony.
Timmy est un brave type. Il a trouvé dans le trafic d’herbe une manière de vivre décemment. La légalisation annoncée de la vente de cannabis lui fait craindre la fin d’un job lucratif. Alors, il décide de passer à la vitesse supérieure pour amasser le maximum d’argent.
Anthony vit avec sa mère et va à la messe tous les jours. Invalide depuis un accident, il trouve dans la religion un sens à une existence bien morose. Et quel meilleure cause pour un catholique fervent de défendre la vie et de refuser l’avortement ! Une fois par semaine, il se rend devant la clinique où travaille Claudia et prend des photos de femmes venues consulter.
Administrateur d’un site intitulé « L’Héritage catholique de la Nouvelle-Angleterre », il entretient des relations avec un certain Excelsior11 qui n’est autre que Victor Pine, ancien vétéran survivaliste, amateur d’armes à feu et militant « pro-life » acharné. En bref, le parfait électeur de Trump qui se définit comme « un soldat rebelle du bien ». Il nourrit son site « Galerie de la honte » des photos prises par Anthony.
Avec ces quatre personnages emblématiques qui ont en commun la solitude, Jennifer Haigh fait le portrait d’une Amérique profondément divisée. Pourtant, tout n’est pas sombre dans son récit coup de poing. Grâce à la lumineuse Claudia, il reste un peu d’espoir et de rêve.
EXTRAIT
Étant donné la qualité de son éducation, elle aurait dû avoir dix enfants non désirés et être rongée par la syphilis.
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