Critique – A moi seul bien des personnages – John Irving

Critique – A moi seul bien des personnages – John Irving


Pas facile pour un jeune garçon d’accepter sa bisexualité. D’autant plus que Bill, le narrateur, découvre ses penchants multiformes dans les années 50 dans une petite ville du Vermont. D’abord, il tombe « amoureux » de son beau-père (il ne connaît pas son père dont l’identité sera bien cachée par toute sa famille et ce n’est que l’un des nombreux secrets qui seront dévoilés tout au long du récit…), il succombe au charme de Miss Frost, une bibliothécaire transsexuelle, qui lui fait découvrir les plaisirs de la lecture et d’autres encore…, il est inséparable de son « amie de coeur » aux petits seins Elaine avec laquelle il partage un point commun : le « béguin » pour Kittredge, l’un de leurs acolytes, sorte de démon au visage d’ange qui pratique la lutte avec talent.

Les difficultés que Bill éprouve à comprendre ces « erreurs d’aiguillage amoureux » ne sont pas adoucies par l’ambiance dans laquelle il évolue. Fréquemment sollicité pour jouer dans les pièces de la troupe locale, il voit son grand-père déguisé en femme dans des œuvres de Shakespeare, cet auteur qui n’hésitait pas à utiliser ses acteurs hommes pour interpréter des rôles féminins.

Les hommes, s’ils font preuve d’indulgence vis-à-vis de Bill, sont soumis à de fortes femmes : la mère de Bill qui réprouve le comportement de son fils, sa tante et sa grand-mère, dominatrices voire castratrices. Et puis, il y a aussi ses cousines qui deviendront des lesbiennes acharnées. Quelle famille !

Et pourtant, Bill va assumer sa sexualité ambivalente. De New-York à Vienne en revenant dans le Vermont, il multipliera les expériences et découvrira les difficultés de ses semblables à vivre leurs différences dans des sociétés empreintes de morale judéo-chrétienne. Sans oublier le sida que certains ont qualifié de « colère de Dieu » qui donne lieu à des pages poignantes.

Depuis « Une prière pour Owen », « A moi seul bien des personnages » est certainement le meilleur John Irving. On y trouve de l’humour (notre Bill est incapable de prononcer le mot pénis, merci Freud !) et de l’émotion. Les scènes de sexe sont très crues mais elles sont décrites avec une légèreté qui évite de tomber dans la pornographie. Bref, « A moi seul bien des personnages » est un roman intelligent, brillant, humain qui se joue des certitudes sans porter de jugement et les personnages, hauts en couleur, sont tous très attachants.

Un vrai coup de cœur.

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