Critique – Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes – Lionel Shriver – Belfond

Critique – Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes – Lionel Shriver – Belfond


« J’ai l’intention de courir un marathon » souffle Remington à Serenata. Celle-ci est tellement surprise qu’elle manque de recracher son café matinal.

En trente-deux ans d’union, son mari a en effet toujours dédaigné le moindre effort physique. Mais sa mise à la retraite précoce pour des raisons absurdes et tellement dans l’air du temps aux Etats-Unis (il perd son travail parce qu’il a osé remettre en cause la compétence de sa supérieure hiérachique qui se trouve être afro-américaine (il paraît qu’on dit maintenant africaine américaine) donc forcément une persécutée alors qu’elle est juste une garce peu sûre d’elle…) lui donne du temps pour s’adonner à la nouvelle religion américaine : le culte du corps et le dépassement de ses limites. Pour effacer la mort et conduire à la vie éternelle ?

A contrario, son épouse, qui a consacré des heures à entretenir son physique, est désormais contrainte à une quasi-immobilité, ses genoux la lâchant.

Les sexagénaires, si complices par le passé, ne sont décidément plus sur la même longueur d’onde et leurs divergences donnent lieu à des dialogues désopilants dans lesquels chacun exprime ses rancoeurs.

Préparer une course de 42,195 km n’est pas une mince affaire pour celui qui n’a jamais pratiqué un quelconque sport.

Le marathon étant dépassé, Remington s’entraîne avec l’objectif de courir un triathlon sous la houlette d’une certaine Bambi, une coach complètement dingue aux allures d’écorché tellement ses muscles sont saillants, qui déclenche immédiatement l’hostilité de l’épouse délaissée.

En s’emparant de sujets sociétaux « mainstream » qui s’imposent comme des diktats, Lionel Shriver dézingue avec jubilation le caractère moutonnier de nos contemporains. Presque tout y passe. On peut ainsi se délecter des coups de griffes de l’auteure du superbe « Il faut qu’on parle de Kevin » contre les végans, le jeunisme, les réseaux sociaux, les délires des LGBTQIA (lesbienne, gay, bi, queer, intersexe, asexuel), sigle auquel on pourrait ajouter le signe + qui signifie tous les autres, la victimisation systématique des minorités et, globalement, de tous ceux qui ne sont pas WASP, le communautarisme, les évangélistes bornés dont la fille, « grenouille de bénitier », de Serenata et Remington est un parfait symbole, le développement personnel, l’écologie à tout-va qui conduit à des décisions absurdes (cf. les passages cocasses sur les pistes cyclables et sur l’éclairage public), une certaine forme de féminisme misandre et, plus largement, contre le wokisme qui stigmatise l’appropriation culturelle et manipule l’histoire pour mieux imposer son idéologie d’enfermement identitaire avec pour conséquence le mépris de ceux qu’il prétend défendre. C’est peut-être un peu excessif mais cela fait un bien fou à l’heure où l’on entend tellement d’injonctions qui sont autant d’inepties et de contre-vérités.

Les personnages, avec leurs excès, sont savoureux. J’ai une petite préférence pour Serenata qui camoufle son mal-être et sa peur de vieillir derrière une misanthropie de façade.

EXTRAIT

Maintenant que les gens instruits ont découvert les vertus de l’activité physique, le sport exige soudain de vestes facultés cognitives.

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