Critique – Arène – Négar Djavadi – Liana Levi
A partir d’un quartier de l’Est parisien à cheval sur quatre arrondissements (Xe, XIe, XIXe et XXe), Négar Djavadi, qui signe ici son second roman après le brillant « Désorientale », a réussi la gageure de faire un portrait incisif d’une société qui va mal.
En visite chez sa mère, Benjamin Grossmann découvre que celle-ci accueille à son domicile un jeune migrant afghan. Cette restauratrice de films ne comprend plus ce fils à qui elle a transmis sa passion pour le 7ème art mais qui a renié ses origines et incarne, à ses yeux, un suppôt du capitalisme triomphant en devenant l’un des dirigeants d’une plateforme diffusant des séries, ces raccourcis de vies se consommant à la chaîne. Pourtant, il affirme passer « ses journées à chercher, avec un espoir prométhéen, des histoires fortes, denses, émouvantes, puissantes, susceptibles de traduire les tragédies de ce monde ».
Après être sorti de l’appartement, il se fait voler son portable et se bagarre avec celui qu’il soupçonne d’avoir commis ce larcin. Ce dernier, un certain Issa Zeitouni, est retrouvé mort. Fin du premier acte.
Le deuxième acte commence avec le « pétage de plomb » d’Asaya Baydar, une flic d’origine turque au bout du rouleau, donnant un coup de pied à la dépouille. La scène est, bien évidemment, filmée par une ado et circule à toute vitesse sur les réseaux sociaux.
A partir de deux faits qu’on pourrait qualifier de divers, un terrible engrenage se met en place. Alors que Benjamin craint d’être accusé de l’assassinat de son agresseur, la policière est convoquée par l’IGPN. Alors que la colère gronde et que les émeutes se propagent, les opportunistes de tous bords – une candidate aux élections municipales et un islamiste « repenti » et bipolaire – tentent d’exploiter à leur compte les récents événements.
Quartier, « degré zéro de l’harmonie architecturale », oublié par les politiques, trafic de drogue comme seul espoir de s’en sortir, déterminisme social, règlements de compte entre bandes, violences policières, incapacité à accueillir dignement les migrants, force des femmes pour protéger leurs enfants de la délinquance, travailleurs pauvres, réseaux sociaux et médias qui célèbrent l’image et l’émotion au dépens de la vérité, « utopie ratée du cosmopolitisme » par ignorance de l’autre… Avec puissance, justesse de ton, rythme effréné et absence de jugement, Négar Djavadi, en faisant se croiser de nombreux personnages autour d’un cadavre, embrasse son époque pour en disséquer les travers.
Et, en arrière-plan, se dessine le fantôme du gibet de Montfaucon comme métaphore de la fureur qui nous entoure.
EXTRAITS
- Voilà ce que ça donne quand la rue circule dans ton sang. La came, le goût du fric facile, les règlements de comptes. Ce n’est même plus leur quotidien à ces mômes, c’est leur héritage.
- Incroyable comme l’être humain peut s’attacher à un lieu, fût-il l’incarnation de la misère !
- Personne ne réalise à quel point ces gamins sont perturbés (…). Et on voudrait qu’ils réagissent comme nous. Qu’ils pensent comme nous ! Qu’ils s’intègrent ! Tous ceux qu’on dresse comme des modèles d’intégration, les footballeurs, les rappeurs, ils sont intégrés à quoi, mis à part au fric ?
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