Critique – La Couronne du serpent – Guillaume Perilhou – L’Observatoire

Critique – La Couronne du serpent – Guillaume Perilhou – L’Observatoire


Sur les armoiries des Visconti, grande famille de la noblesse lombarde, figure une guivre, créature légendaire représentant une espèce de serpent, dévorant un enfant.

Cette image pourrait préfigurer le tournage de « Mort à Venise » de Luchino Visconti adapté du roman de Thomas Mann.

À la recherche de celui qui interprétera le rôle de Tadzio, c’est à Stockholm que le réalisateur trouve son ange blond. Il a quinze ans et s’appelle Björn Andrésen. Orphelin à dix ans après le suicide de sa mère dont la figure l’obsède et le culpabilise, il vit avec sa grand-mère maternelle qui a des rêves de grandeur pour lui.

« La Couronne du serpent » entrelace des lettres, des récits de scènes réelles, des fragments de journaux intimes, des réflexions des trois principaux protagonistes (Luchino Visconti, Björn Andrésen et Helmut Berger, l’autre ange blond du comte) et offre un puzzle mêlant fiction et réalité que le lecteur doit reconstituer pour saisir le propos de l’auteur : comment le pouvoir d’un homme qui se prend pour un démiurge transforme un adolescent fragile en objet de désir.

Après le tournage déjà perturbant pour l’adolescent, la promotion du film achève de faire de lui une icône sexuelle autant adulée par les femmes que les hommes. Il ne s’en remettra jamais, souffrant de problèmes psychologiques, d’alcoolisme et de pulsions suicidaires.

Visconti le traîne dans une discothèque gay de Cannes où il a l’impression d’être « une statuette à exposer ou à offrir ». On lui fait boire de l’alcool. Il ne gardera aucun souvenir de cette nuit…

Aujourd’hui, celui qui fut qualifié de « plus beau garçon du monde » ressemble à un vieux Christ grisonnant. Seul le regard gris bleu « couleur de l’eau » est intact.

Au Japon, la folie s’empare des admirateurs de Tadzio-Björn. On lui demande s’il est bien réel ou s’il est un ange. On le qualifie de bishonen, « joli garçon » en langue nippone.

Des mangakas s’inspirent de son visage séraphique. Un photographe lui propose même de tourner dans un film porno !

« Je ne me reconnais jamais » constate l’acteur en herbe qui ambitionnait de devenir musicien.

Avec finesse et sans juger, Guillaume Perilhou décrit non seulement la manière dont le cinéma peut écraser l’innocence (les exemples sont légion) mais aussi une époque où un homme, aussi génial soit-il, peut agir en toute impunité au nom de l’art qui primerait sur tout le reste. C’est à la fois glaçant, fascinant et vertigineux.

EXTRAITS

  • Pourquoi l’appeler encore Björn Andrésen ? Il est Tadzio, maintenant. Seulement Tadzio. Une créature réelle, splendide, autant qu’une idée abstraite, un produit de l’esprit, dit Visconti.
  • Tu vas voir ce qu’on va faire ensemble, Björn, la vie en mieux.

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