Critique – Les lois de l’ascension – Céline Curiol – Actes Sud

Critique – Les lois de l’ascension – Céline Curiol – Actes Sud


« Ouf » pourrait-on s’exclamer à lecture de ce pavé de 838 pages à l’ambition démesurée et à la construction très maîtrisée (peut-être trop…) qui rend hommage à Paul Auster.

« Ouf » parce que « Les lois de l’ascension » est une forme de roman-monde qui embrasse tous les thèmes, les défis et les périls de nos sociétés contemporaines : l’islamisme radical, le terrorisme, le journalisme de l’urgence, le trop-plein d’informations et d’images, les réseaux sociaux, l’individualisme, les migrants, l’écologie, l’émotion vs la raison, la consommation effrénée, la mondialisation comme bienfait ou désastre, le capitalisme, le libéralisme, les bullshit jobs, les nouvelles formes d’engagement et de mobilisation, l’intelligence artificielle … Jusqu’à, parfois, l’indigestion tellement le ton peut-être didactique et un brin manichéen.

Le récit s’étale sur quatre saisons des années 2015-2016 marquées par les attentats islamistes. Il s’articule autour de six personnages-archétypes :

  • Orna, la quarantaine, célibataire et sans enfants, est journaliste pour un site internet qui court après l’information qu’il transforme en « contenus » attractifs capteurs de clics synonymes de recettes publicitaires. Elle passe « pour une rigoriste rétrograde (…) qui ne pigeait rien aux enjeux nouveaux de la communication de masse ». Un jour, elle trouve un migrant devant son immeuble du quartier de Belleville. Rongée par la culpabilité parce qu’elle n’a rien fait pour l’aider, elle n’aura de cesse de le retrouver.
  • Sèlène est la sœur cadette d’Orna. Enseignante spécialisée dans l’environnement (serait-elle le double de l’auteure ?), elle est confrontée à un dilemme : accepter un poste à Dubaï quitte à perdre son compagnon ou rester à Paris auprès d’un amour voué à l’échec. Au-delà de ce choix cornélien, l’universitaire entend vérifier dans la pratique ses intuitions sur le rapport de l’homme à son environnement.
  • Hope a abandonné ses études à Sciences-Po et, pour survivre, est pickeuse dans un centre de distribution de l’Entrepôt qui ressemble étrangement à Amazon. L’obligation de s’assumer financièrement entrave ses aspirations à la liberté et ses envies d’activisme.
  • Modé, sénégalais d’origine, est installé en France depuis une quarantaine d’années. Après avoir travaillé pour l’Association, une structure qui vient en aide aux migrants, il devient bénévole la retraite venue tout en continuant à écrire de la poésie. Il vit seul.
  • Pavel est psychanalyste. Séparé de son épouse, il entretient avec sa fille adolescente des relations compliquées.
  • Mehdi est un adolescent en colère qui attend de l’islamisme le salut.

Tout ce petit monde va se croiser, se recroiser, s’aimer, se haïr, se comprendre ou pas…

Chacun est arrivé à un moment de son existence où il va faire des choix pour tenter de réaliser ses rêves, d’être un autre, peut-être quelqu’un de meilleur. Même si ces décisions sont déclenchées par le hasard d’un événement ou d’une rencontre.

Avec minutie, avec des phrases torturées et parfois lourdingues (« Il aime que l’ardeur de leurs ébats se dissolve lentement dans la torpeur de leurs endormissements conjoints »), Céline Curiol décrit le moindre geste, la moindre pensée et les moindres désirs de ses protagonistes et j’ai apprécié cette forme d’omniscience dans le récit, cette capacité à saisir la psychologie des personnages.

En revanche, même si on peut être en accord avec l’auteure, j’ai été souvent éreintée par l’avalanche de prises de position insistantes et de poncifs sur les sujets politiques et sociétaux évoqués plus haut.

Est-on encore dans le registre de la littérature quand on utilise la forme romanesque pour diffuser et incarner sans filtre des opinions qui s’exprimeraient peut-être mieux dans un essai ou un pamphlet ? La question est posée…

Merci à Babelio et aux éditions Actes Sud pour cette lecture stimulante.

EXTRAITS

  • Ce qui semble exister réellement n’est plus que ce qui peut se concevoir comme spectacle.
  • Chacun se fixait une trajectoire mais tout parcours se jouait aux intersections.

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