Critique – L’hiver du mécontentement – Thomas B. Reverdy – Flammarion
« Now is the winter of our discontent » (en bon français, « voici l’hiver de notre mécontentement ») est le premier vers de « Richard III » de Shakespeare.
Fil rouge du roman, le tyran vient en renfort pour illustrer la déliquescence de la Grande-Bretagne à la fin des années 1970 et l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, la « dame de fer ».
Pendant ce temps, Candice, la vingtaine, répète avec les « Shakespearettes » le drame du plus illustre représentant du théâtre élisabéthain. Pour payer ses cours, elle est coursière à vélo. Pour s’imprégner du personnage principal qu’elle va incarner sur scène, elle note dans un carnet les impressions que lui inspire le monstre bossu. Comme un écho aux bouleversements qui secouent la Royaume-Uni.
Dans sa bulle, obsédée par sa vocation d’actrice, éloignée de sa famille banlieusarde dont le père chômeur s’apprête à voter pour la chef des Tories, pratiquant son job de livreuse comme une épreuve physique qui lui permet d’entretenir son corps, Candice semble aveugle à cette révolution sociale et politique qui s’annonce. Ce n’est pas le cas de Jones, le musicien, dont les talents de compositeur ne lui permettent pas de vivre décemment. Ce personnage poignant symbolise le cynisme d’une époque qui méprise l’artiste pour mieux valoriser ceux qui produisent des richesses destinées à accroître leur patrimoine au détriment des plus pauvres et des laissés-pour-compte de la réussite matérielle.
Alors que Thatcher veut rendre la Grande-Bretagne « great again », les « Sex Pistols » clament le slogan de toute une génération : « No future ». Comme un hiatus qui se poursuit toujours avec le Brexit.
Prenant le parti d’une construction pas toujours aisée à suivre, Thomas B. Reverdy se glisse dans la peau d’un sociologue pour décrire avec finesse la fin des illusions qui signe l’arrêt de mort de l’utopie collective au profit de l’individualisme. « Aujourd’hui, fini de rêver » clame la locataire du 10 Downing Street en 1980. Cette dernière, aussi impitoyable que son homologue shakespearien, prône le « do it yourself » et n’hésite pas à laisser mourir Bobby Sands, l’indépendantiste irlandais.
EXTRAITS
- On parlait de relâchement des mœurs. Un député conservateur, Keith Joseph, avait carrément proposé de contrôler les naissances des pauvres.
- Richard III, c’est quand le pouvoir le plus absolu ne provient pas de l’ordre, mais du chaos le plus total.
- La crise s’installera. Elle deviendra un moyen de gouverner. On vantera les carrières multiples, les hommes à tout faire, les petits boulots, peut-être même le retour des femmes à la maison, le do it yourself, la débrouillardise et le second marché. Les chômeurs seront de plus en plus nombreux. Mais ils seront de droite.
- Il n’y a qu’à regarder des enfants. L’amour, les romans, la tragédie, le vie c’est pour les filles. Les garçons, ils jouent.
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