Critique – Nature humaine – Serge Joncour – Flammarion

Critique – Nature humaine – Serge Joncour – Flammarion


Dès le premier chapitre, Serge Joncour nous plonge dans la vie d’Alexandre, agriculteur, « seul à vivre au sommet des prairies » depuis le départ de ses sœurs, « trois lumineuses flammèches dissemblables et franches qui égayaient tout », et de ses parents.

En cette soirée du jeudi 24 décembre 1999, quelques jours avant que deux violentes tempêtes ne s’abattent sur la France, Alexandre prépare des explosifs avec l’engrais de la ferme tout en pensant à Constanze, « à ce qu’aurait été sa vie s’ils ne s’étaient jamais rencontrés ».

Avec lui, nous allons remonter près de vingt-cinq années depuis 1976, année de la grande sécheresse. Au début de ce dernier quart du 20ème siècle, les Bertranges, installés dans le Lot, pratiquaient encore la polyculture avec leurs plantations de safran et de tabac et leur production d’huile de noix. Pour faire plaisir aux grands-parents…

L’avenir est au maïs et aux vaches à viande qui, bientôt, c’est le sens de l’histoire, seront entassées dans de vastes hangars sans voir le moindre brin d’herbe avec, pour seule nourriture, des tourteaux de soja, de l’ensilage de maïs et, parfois, des farines animales avec, pour conséquence, la crise de la vache folle. Quel idée aussi de nourrir un herbivore avec des déchets de poissons !

Tout en décrivant la révolution qui touche le monde agricole, l’auteur pointe du doigt les changements dans nos modes de vie qui accompagnent les transformations des paysages. On peut citer pêle-mêle : la généralisation du téléphone grâce à l’installation de poteaux traités à l’arsenic (j’avoue que j’ai appris quelque chose) ; la progression inexorable de la grande distribution qui assure des débouchés aux agriculteurs tout en laminant leurs marges ; l’extension d’une agriculture productiviste mangeuse de produits phytosanitaires qui appauvrissent les terres, polluent l’environnement et empoisonnent les hommes ; les séduisantes villes qui happent les jeunes et accélèrent l’exode rural ; le maillage autoroutier du territoire pour améliorer la circulation des biens assorti d’une explosion du transport aérien, symbole de la mondialisation triomphante ; la stupidité des consommateurs qui préfèrent de la viande bien rouge issue de bovins élevés en stabulation alors que celle des vaches « vivant au grand air » « offrait un rouge (…) plus sombre » ; la consommation débridée…

Bref, tout ce qui a modifié notre relation à la nature et aux animaux en faisant des hommes une espèce à part qui entend tout dominer et maîtriser est fustigé.

Heureusement, il y a ceux qui luttent contre ce système délétère. Et de citer le Larzac, la mobilisation contre la construction de la centrale nucléaire de Golfech…

Encore de nombreux poncifs « fourre-tout » qui surfent sur l’air du temps et qui préfigurent nos zadistes, nos végans et ceux qui retournent à la terre pour faire du bio et travailler en circuit court.

Et, il y a bien sûr le voisin qui a tout compris, le sage père Crayssac qui assène qu’il se bat contre les technocrates qui disent que son fromage est plein de bactéries « alors que c’est la vie, les bactéries ».

Et puis, il y a la fameuse Constanze, fil rouge de l’existence d’Alexandre, à laquelle ce dernier est incapable de dire qu’elle est la femme de sa vie. L’impuissance est bien ce qui caractérise ce jeune homme qu’on a envie de secouer tellement il est fataliste, tellement il se laisse embringuer par ses « amis » activistes », tellement il obéit bêtement aux injonctions productivistes, rejetant le bon sens paysan de son père tout en s’inquiétant de la dégradation de son cadre de vie.

Il y a l’écriture aussi, inopérante à saisir avec puissance et romanesque cette course à la modernité et au progrès qu’elle prétend dénoncer. Le style est plat, terne, sans relief.

Dommage car, du même auteur, au demeurant très sympathique (« rencontré » à la Foire du livre de Brive et à la librairie « L’Armitière » à Rouen), j’avais bien aimé « L’écrivain national » pour son humour, « Repose-toi sur moi » et « Chien-Loup » qui décrivait avec davantage de finesse le rapport que le monde moderne entretient avec la nature.

EXTRAIT

Le Larzac, donc, ce n’était pas rien, et dans un monde hypnotisé par la modernité, c’était bien la preuve que la nature était au centre de tout.

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