Critique – Nul ennemi comme un frère – Frédéric Paulin – Agullo
Premier tome d’une trilogie consacrée à la guerre civile libanaise (1975-1990), « Nul ennemi comme un frère » arrive à point nommé, avec la récente attaque d’Israël contre le Hezbollah, pour comprendre la situation actuelle.
Ce premier opus couvre la période 1975-1983. Le 13 avril 1975, à Beyrouth, des chrétiens menés par Bachir Gemayel attaquent un bus transportant des Palestiniens en représailles au massacre d’une église. En ce « Dimanche Noir », vingt-sept morts sont à déplorer.
Le récit se termine avec la journée tragique du 23 octobre 1983 au cours de laquelle deux attentats-suicides eurent pour cibles des soldats américains et français.
Tout en relatant scrupuleusement les faits, Frédéric Paulin apporte avec maestria sa patte romanesque, comme il l’avait fait avec la trilogie Benlazar qui remontait aux sources du djihadisme, en mêlant personnages réels et de fiction.
Surnommé la Suisse du Moyen-Orient, le Liban est une mosaïque de communautés religieuses et identitaires aux intérêts divergents : chrétiens, chiites, sunnites, druzes et Palestiniens réfugiés après la guerre des Six-Jours de 1967.
Pour incarner ces différentes populations, qui parfois s’allient, parfois se séparent, l’auteur a imaginé des figures représentatives des différentes tendances permettent, en déplaçant la focale des uns aux autres, de mieux saisir les revendications de chacun et la complexité des enjeux. Il intègre aussi des ressortissants français qui, de près ou de loin, sont impliqués :
- du côté des chrétiens, qui se considèrent comme « le peuple fondateur du pays du Cèdre », il y a la famille Nada. Édouard, l’aîné, est l’un des dirigeants de la phalange. Le benjamin Charles a le goût du sang et de l’argent qu’il amasse, pour financer la cause des siens, en s’associant avec des chiites qui lui fournissent de la drogue faisant de son pays un « narco-État » ! Quant à Michel, le cadet, il fuit le Liban et ses tragédies pour rejoindre Paris et se rapprocher de l’UDR, « ancêtre » du RPR, et ses magouilles orchestrées par Pasqua et consorts en espérant mobiliser la droite en faveur des chrétiens libanais.
- Le capitaine Dixneuf du SDECE transformé en DGSE en 1982 est un as du renseignement, bien informé sur ce qui passe au Liban et dépassé par les décisions des politiques.
- Philippe Kellerman est conseiller politique à l’ambassade de France au Liban. Naviguant entre le Moyen-Orient et son pays, il collabore avec les socialistes et devient leur « Monsieur Liban ». Lui qui a grandi au pays du Cèdre regrette l’époque de son enfance, qu’il embellit certainement, où toutes les communautés vivaient en bonne entente. Angoissé perpétuel, il carbure aux benzodiazépines et à l’arak et en pince pour la belle Zia.
- Zia est une chiite qui travaille comme traductrice pour l’ambassade. Elle se radicalise après la perte des siens et organise des attentats-suicides qui se multiplient au début des années 1980. Elle ressent « le carcan qui commence à peser de plus en plus sur les femmes de sa communauté. »
- Abdul Rasool al-Amine est chiite et engagé pour que le courant de l’islam auquel il adhère prenne le pouvoir au Liban. Ce mari et père de famille, torturé par son attirance impie pour Zia, réside depuis 1970 dans la banlieue sud de Beyrouth où vivent des milliers de personnes de la même obédience.
- Sandra Gagliago est une juge française spécialisée dans le terrorisme. Elle fut l’épouse éphémère de Michel Nada et est la maîtresse de Dixneuf et d’un flic qui enquête sur Action directe.
On le voit, le Liban est le centre névralgique et géopolitique de toute une région qui en fait « un champ de bataille » pour régler ses comptes. Que ce soient Israël, l’Iran, la Syrie…
En parallèle, les puissances occidentales tentent de calmer le jeu avec plus ou moins de succès, plutôt moins que plus. La France en tête qui considère le Liban comme son pré carré.
Dans l’Hexagone justement, les répercussions de la situation au Moyen-Orient et les errements de la diplomatie française se traduisent sous la forme d’attentats.
En parallèle, le groupuscule d’extrême gauche Action directe s’attaque aux symboles du pouvoir.
Bref, de toutes parts, les massacres s’additionnent, toujours dans la surenchère meurtrière, n’épargnant pas les civils, et même les touchant intentionnellement pour semer la terreur et ce, sans aucune perspective de résolution des conflits.
Récit tendu dont il est impossible de se détacher, « Nul ennemi comme un frère » est indispensable pour appréhender les défis actuels, et notamment celui de la question israélo-palestinienne.
On attend avec impatience le deuxième volume attendu pour le début de l’année 2025.
EXTRAITS
- La consommation de drogue a augmenté en même temps que le pratique religieuse, deux façons de tenir le coup.
- Ici la violence est tribalisée.
- On croit mourir pour la patrie alors qu’on meurt pour les industriels de l’armement qui ont inventé la guerre comme les marchands de bidet ont inventé l’amour.
- Il sait comme tout le monde au Liban que dès qu’un homme naît, il est assez vieux pour mourir.
- La Nakba est impardonnable pour la conscience arabe.
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