Critique – Par les écrans du monde – Fanny Taillandier – Seuil

Critique – Par les écrans du monde – Fanny Taillandier – Seuil


Alors que le jour se lève sur un lac non loin de Detroit, un vieil homme laisse un message identique à ses enfants : « je t’appelle pour te dire que je vais bientôt mourir ». Nous sommes le 11 septembre 2001, une journée dramatique que l’auteure va faire revivre via trois personnages.

Lucy, la fille du moribond, est une brillante mathématicienne chargée d’analyser les risques pour une compagnie d’assurances new yorkaise. Mais ses connaissances ne lui ont servi à rien en ce matin ensoleillé. Après la collision de deux avions avec les Twin Towers, elle se retrouve bloquée dans le sous-sol du World trade Center. Elle perd alors tous ses repères comme si son passé s’était effacé. Réduite à un animal, seule sa survie compte.

Après avoir été, soldat comme son père, engagé sur les terrains des guerres menées par oncle Sam dans le monde, William, son frère désormais flic, a trouvé un job plutôt tranquille de responsable de la sécurité à l’aéroport de Boston. Sorti moralement blessé par des années de combat, il constate l’incurie des autorités dans l’anticipation des événements et dans leur gestion.

Et puis il y a un troisième larron, bien réel celui-là. Mohammed Atta est un homme d’origine égyptienne embrigadé par Al-Qaïda. C’est lui qui va précipiter l’avion du vol 11 de l’American Airlines sur la tour nord. Fanny Taillandier retrace son parcours qui souligne là encore l’aveuglement des services secrets américains.

Mêlant fiction et réalité, ce roman-essai rappelle combien le 11 septembre est l’aboutissement du processus d’islamisation que ceux qui nous gouvernent n’ont pas voulu voir. Il s’interroge sur le pouvoir des images au pays où le cinéma, art qui donne l’apparence de la réalité à la fiction, a su si bien raconter le récit américain. Intelligent.

EXTRAITS

  • On est aux Etats-Unis d’Amérique et il y a un siècle que Henry Ford a convaincu tout le monde que les forces de production peuvent être à la fois des forces de consommation, et que cette identité entre les premières et les secondes est tout à fait rentable.
  • Nous sommes le 11 septembre 2001 et nous avons appris depuis longtemps à considérer les images comme les facettes d’un monde cohérent.
  • L’alliance de la technologie et du réseau mondial a rendu les catastrophes extrêmement photogéniques.
  • Politique globale : le monde est une immense machine à produire du chaos et nous nous nourrissons des images de celui-ci.
  • Car les causes infimes produisent, au fur et à mesure, de plus en plus d’effets, croisent des chemins de plus en plus divergents, rencontrent d’autres suites de causalités qui s’ignoraient jusqu’alors. Cela s’appelle le chaos.
  • CNN pratiquement 24/24. L’Amérique post-guerre froide se refaisait une beauté : risque minimal, efficacité maximale. Peu d’images, pas de corps. De la prouesse technologique.
  • A cette époque, il croît encore en Dieu, puisqu’il doute de lui-même.
  • On est au pays du film catastrophe et du film de guerre (…) : le récit américain, mille fois tissé et retissé, a étendu sa toile, bobine par bobine, à tel point que les Etats-Unis existent peut-être en premier lieu sous la forme d’images héroïques.
  • Venues du réel, ces images sont invraisemblables.
  • Car lorsque le récit des puissants réduit trop de vaincus au silence, les vaincus en écrivent d’autres, reprennent les terres par les mots à défaut de les reprendre par les armes.
  • La philosophie a distingué deux espérances : celle qui s’appuie sur la probabilité, qui permet d’espérer rationnellement, et celle qui à l’inverse s’appuie sur l’improbable, et qui est donc un acte de foi.
  • La mutilation infligée par le colonialisme occidental à la médina traditionnel semble irréversible. Peut-être n’y aura-t-il d’autre choix que de tout détruire.

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